Enfin ils arrivent jusqu'à une grotte asséchée que la femme-serpent présente comme étant la tanière de Kasta, la sirène maudite. Ben a la tentation de faire semblant de sonner avant d'entrer, ça lui semble follement drôle, mais il se dit que ce n'est pas le moment d'inquiéter davantage sa compagne de voyage.
Il se sent à peu près bien – le cerveau à peu près valide – tant qu'il ne pense pas trop à certaines choses, autant que ça dure. Peut-être même qu'il pourra se rendre utile à un moment ou l'autre de l'entreprise – quoi qu'il en doute.
Tout au fond de la grotte, allongée de tout son long sur le sable du sol, la sirène parait morte. Ses beaux cheveux verts forment une couronne étoilée autour de sa tête. Ses bras blanchâtres comme le ventre d'un poisson sont étendus à ses cotés. Ses écailles sont ternies.
« Qu'est-ce qu'elle a ? demande craintivement Ben.
La femme serpent sort rapidement la langue et conclu :
‒ Elle s'est pintée. A l'hydromel, je dirais.
Bien sûr, se dit Ben, une sirène alcoolique, c'est bien l'élément qu'il leur manquait pour déclencher une révolution.
Il laisse Sans-nom réveiller plutôt énergiquement Kasta qui gémit et tente de se retourner pour poursuivre son somme tranquille. A force d'être secouée, elle émerge complètement et marmonne :
‒ Quoi ?
Le ton est bourru, pour ne pas dire revêche, mais il ne peut masquer le fait que Kasta ait une voix absolument magnifique. Ben sent un frisson lui remonter le long de la colonne vertébrale.
S'il n'avait pas été mort, il se serait jeté à l'eau sans hésiter pour un seul mot de cette voix. Celle de la sirène qu'il a déjà rencontrée ne lui arrive pas à la cheville. Ou à la nageoire. La femme serpent ne se laisse pas impressionner par si peu et répond :
‒ Nous allons défier les dieux. Aide-nous.
Kasta les regarde tous les deux, s'attardant tout particulièrement sur Ben, avant de déclarer :
‒ Je veux bien t'aider, toi. Mais pas l'humain. Je maudis les humains et s'il traîne dans ma grotte plus de dix secondes, je le dévore avant qu'il ne la pollue définitivement.
‒ Il nous sera utile. Fulmur et Jassak se disputent son âme.
‒ Oh, misère...
La sirène ne vole pas, elle rampe sur le sol pour se déplacer, sa longue queue de poisson traînant misérablement sur le sable. Elle déterre quelques cruchons qu'elle secoue dans le vain espoir d'y trouver quelque chose à boire. Furieuse, elle en jette un qui explose contre le mur de pierre.
‒ Et c'est quoi la suite du plan ? marmonne-t-elle.
Sans-nom donne un coup de coude à Ben, qui prend son courage à deux mains et explique :
‒ Il faut que tu appelle quelqu'un, un prisonnier de Fulmur.
‒ Son nom ?
‒ Mark Steilman. C'est l'homme qui m'a tué.
‒ Ça, je m'en fous. Et qu'est-ce que j'y gagne ? Je suis maudite ! Et mon homme est parti. Cet abruti est mort. Il a eu direct son billet pour l'autre coté. Et moi, bloquée par deux océans à cause de lui, je ne peux même pas retourner le chercher !
‒ Ce que tu y gagne, dit la voix froide de Sans-nom, c'est ta vengeance contre Fulmur.
‒ Et de l'alcool, ajoute Ben.
La femme serpent lui murmure férocement :
‒ Et comment tu comptes en trouver ?
‒ Dans la ville des humains. Là où il y a des hommes, il y a de l'alcool, non ?
Elle réfléchit puis hoche la tête. De son coté, Kasta a levé une main tremblante et dit :
‒ Marché conclut. Allons-y. »
Elle s'agrippe au dos de la jeune femme qui la porte aussi facilement qu'un sac à dos et la fait sortir de la grotte. Une fois dehors, ils montent au sommet de la montagne, jusqu'à ce que Kasta daigne s'asseoir sur un rocher. Après quoi elle passe de longues minutes à entremêler ses cheveux dans ses doigts.
Ben est prêt à protester contre ses manières de diva quand la sirène commence enfin à chanter, se servant de ses cheveux comme des cordes d'une harpe.
La musique qui en résulte est plus sublime que les plus beaux morceaux jamais rêvés sur terre. Le chant est une poésie qui prend en otage l'âme humaine dans la douce et la plus implacable des étreintes. Ben pleure sans se rendre compte de ce qui lui arrive.
La sirène chante pour Mark Steilman, et où qu'il soit dans ce monde, l'ancien marin ne peut qu'arracher les chaînes qui le maintiennent prisonnier et se précipiter à n'importe quel prix jusqu'à elle.
A condition qu'il l'entende.
Lorsque Kasta se tait, elle se laisse tomber au sol, comme épuisée. Rien d'autre ne se passe. Ben commence à s'inquiéter et il finit par demander :
« Alors ? Il vient ?
‒ Laisse-lui le temps d'arriver, dit Sans-nom.
‒ Mais s'il n'a pas entendu...
‒ Pourquoi ferait-on garder un prisonnier par des sirènes si c'est pour leur boucher les oreilles ? Ils sont bien plus faciles à manipuler comme ça. Et l'Arbre t'a parlé de Kasta. Maintenant, file chercher de quoi payer la sirène avant qu'elle ne réveille et qu'elle ne te dévore. »
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Au-delà
FantasyArrivé dans l'autre monde, le pauvre Ben s'aperçoit que passer dans l'autre coté n'était que le début de ses ennuis. Entre dieux, monstres et bureaucrates, parviendra-t-il à échapper à son sort ? Une histoire beaucoup plus délirante que ce que je fa...