« Kasta ? appelle timidement Ben. Kasta ? Et... heu... mademoiselle ? Il n'y a personne ici ?
Seul l'écho de sa propre voix lui répond. Il cherche un peu partout, remonte jusqu'au rocher d'où Kasta a chanté, redescend, et commence à réellement paniquer. Il hurle :
‒ Kastaaaaaaaaaaaaaaaa !
Soudain quelqu'un jailli du renfoncement où il s'était caché et lui ordonne d'un ton sec :
‒ La ferme, petit merdeux !
Ben a si peur qu'il laisse tomber la précieuse 'vraie bouteille'. Le nouveau venu la rattrape d'un geste souple avant qu'elle ne se brise sur le sol. Steilman. Le chant de la sirène a marché. Des chaînes lui pendent encore des poignets et des chevilles, mais il est venu.
Toute la terreur de cette nuit de cauchemar revient à Ben. Il est trop pétrifié pour fuir.
‒ Ils les ont emmenées, continue Steilman comme si de rien n'était. Les tape-boulons de Jassak ont kidnappées la sirène et ta copine serpent. Et on ferait mieux d'aller se planquer ailleurs, au cas où ils repasseraient. Elles m'ont dit que tu connaissais la suite du plan... Je t'écoute.
Une colère froide envahie Ben. Cet homme l'a tué et a massacré tout l'équipage du bateau, et il a eu le culot de se cacher pour laisser les deux autres seules devant l'ennemi !
‒ Espèce de salopard... lui dit-il sourdement. Tout ce que tu mérite, c'est que je te crève une deuxième fois !
‒ Attend, attends, si c'est parce que je t'ai tué que tu dis ça, faut que tu saches...
Trop tard : Ben a déjà attrapé une pierre et frappé la tête de Steilman si violemment que celle-ci fait un demi-tour sur son axe.
Ben lâche son arme improvisée et bourre son adversaires de coups de poings à assommer un bœuf. Mais Steilman est mort lui aussi, et il en faudrait bien plus pour l'empêcher de s'expliquer :
‒ Ce n'est pas ma faute si j'ai fait ça ! C'est Jassak qui m'a rendu fou ! Il essaye de voler des âmes par tous les moyens !
Ça, Ben le savait grâce à l'Arbre, et c'est bien pour utiliser cet élément qu'il a demandé à Kasta de l'appeler. Mais ce n'est pas la seule cause de sa fureur. Il gronde :
‒ Comment tu as pu les laisser ! C'est grâce à elles qu'on avait une chance de s'en sortir ! Salopard ! Putain de salopard de lâche !
‒ C'est la serpentaire qui m'a dit de me cacher ! Elle m'a dit que sans moi le plan était fichu et elle est allée faire diversion avec la sirène ! Maintenant calme-toi !
Peu à peu, Ben se contient. Difficile de ne pas croire à cette version de l'histoire, elle est tout à fait dans le style de la femme-serpent. Une fois laissé tranquille, Steilman remet sa tête dans le bon sens et masse machinalement la chair ectoplasmique sur laquelle les coups de Ben n'ont laissé aucune marque.
Il émet un petit bruit méprisant, comme dégoûté de la bêtise de celui qu'il a tué, et tente de déboucher la bouteille. La main de Ben s'abat fermement sur le goulot et reprend son bien.
‒ Ce n'est pas pour toi, dit Ben.
‒ Dommage. Bon, on va où ? Vu la cartographie des lieux, il faudrait...
‒ La géographie. Pas la cartographie. La configuration des lieux, si tu préfères.
‒ Je m'en fous. Vu le coin, il faut éviter les montagnes, elles sont bourrées de pièges, et...
‒ Et c'est dommage, mais c'est là qu'on va. Tout au sommet. Il faut qu'on arrive à grimper sur ces saletés de nuages de sable – à moins que tu ais appris à voler ?
‒ Qu'est-ce que tu veux faire là-haut ?
‒ Déposer une plainte et déclencher une guerre. Amène-toi. »
Ben et Steilman ont navigués presque un an ensembles avant le naufrage et Steilman a toujours pris les décisions sans prendre la peine de consulter son jeune compagnon. A présent les rôles sont inversés et il se laisse faire avec une facilité étonnante. Ben apprécie.
Ils courent durant toute l'ascension, tirant au maximum profit de l'énergie de leurs corps, mais le chemin est long pour atteindre enfin une montagne aussi haute que les nuages. Les deux humains esquivent prudemment toutes les créatures qu'ils croisent.
Plusieurs fois ils croient passer sous une cascade ou sur un pont pour ensuite se retrouver ailleurs. Ils sont totalement perdus. Ça n'a pas d'importance. Pour atteindre les nuages, l'essentiel est de monter.
Et ils montent, malgré les erreurs et les détours, ils grimpent toujours plus haut, le long des précipices glacés et des gouffres brûlants, au travers des trous de sable, sous les stalactites tremblantes, au-dessus des rubans de poussière.
Ben ne prête pas attention au « clic-cliclic » persistant. Il a bien d'autres soucis en tête. Steilman, par contre, lui fait signe de s'arrêter et de ne pas faire le moindre bruit, et en voyant son visage Ben obéit. Steilman a l'air d'un homme qui cherche comment fuir son pire cauchemar. Et le cliquetis se rapproche.
Les deux hommes sont sur un chemin étroit qui serpente au sommet d'une falaise : à leur droite il y a le vide, à leur gauche il y a une pente trop raide pour valoir mieux. Devant eux, le chemin monte et se perd dans la brume.
Ben veut se cacher dans cette diversion providentielle mais Steilman l'arrête d'un geste. Ben n'ose pas protester et obéit, bien que rester aussi à découvert soit pour lui une aberration. Il guette le danger de tous les cotés. Et enfin le voit.
Une longue tige de métal couleur bronze tâtonne un peu plus bas sur le sentier. Elle parait prendre de l'assurance et s'appuie sur la pierre pour hisser le reste de la créature de bronze. Le tout ressemble, selon Ben, à un trépied surmonté d'un cylindre. Un robot qui ne fait pas plus d'un mètre de haut et moins de vingt centimètres de diamètre – un mètre vingt une fois ses trois pattes dépliées. Etrange, mais moins que bien d'autres créatures qu'il a déjà vu, et pas très effrayant.
Ben s'apprête à demander à Steilman en quoi cette chose peut bien être dangereuse quand le robot se met en marche vers eux. Clic, fait le premier pied, cliclic, font les deux autres qui se posent au sol presque en même temps. Sauf que le cliquetis est bien trop fort pour avoir été provoqué par une seule de ces machines...
Elles sont des centaines à surgir de tous les horizons. Steilman hurle et commence à courir vers le bas de la montagne. Il sera forcément rattrapé. Ben l'empoigne fermement et le tire vers le haut jusqu'à ce qu'ils se dissimulent dans la brume.
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Au-delà
FantasyArrivé dans l'autre monde, le pauvre Ben s'aperçoit que passer dans l'autre coté n'était que le début de ses ennuis. Entre dieux, monstres et bureaucrates, parviendra-t-il à échapper à son sort ? Une histoire beaucoup plus délirante que ce que je fa...