Un jour – ou peut-être à la fin d'une seule interminable journée, Ben ne parvient pas à le savoir – toutes les créatures de bronze abandonnent les lieux, ne laissant derrière elles que les prisonniers attachés à leurs tables de travail respectives.
Puis la pièce est envahie par une armée hétéroclite d'humains morts et de créatures de l'au-delà, hurlant et détruisant tout ce qu'ils trouvent. Ils commencent à casser les chaînes des prisonniers qui tentent de fuir pour leur échapper. Une voix puissante résonne dans tout l'atelier :
« REVOLUTION !
Pendant une étrange et merveilleuse seconde, tous les esclaves se figent. Un seul collier de grelots, sur les centaines de prisonniers restant, tinte encore. Celui de Ben qui a reconnu la voix de la serpente sans nom et lui fait des signes frénétiques.
La jeune fille est à moitié recouverte par sa cape d'ombre, elle tient un trident dans une main et le goulot d'une bouteille en verre brisée dans l'autre, elle s'est dressée aussi haut qu'elle le pouvait et oscille comme un cobra avant de mordre, elle regarde tous les prisonniers et proclame :
‒ LES DIEUX SE BATTENT ! ACHEVONS-LES ! »
Jamais Ben n'avait entendu un plan de bataille aussi parfaitement résumé. Immédiatement la foule crie son assentiment dans un tintamarre de grelots, brandissant le poing et tirant sur les chaînes qui l'entravent.
Une fois libérés par les rebelles, les humains attrapent le premier outil venu qui leur tombe sous la main et partent au combat, la femme-serpent à leur tête. Ben court jusqu'à elle. Elle lui sourit et dit :
« Grimpe, on sera plus à l'aise pour parler.
Effectivement, à peine Ben installé de son mieux sur son dos elle utilise toute sa vitesse. Son armée s'étire, les monstres les plus rapides la talonnent de près, les humains restent à la traîne. Ils ne paraissent pas très disciplinés et n'ont aucune expérience. Mais l'absence de robots dans tout le château indique qu'ils forment une menace redoutable.
Et ils sont morts. Il faudrait mettre leurs ectoplasmes en pièces pour les réduire à l'état d'âmes errantes, et même ce sort parait préférable au démoniaque atelier de Jassak.
‒ Où est Kasta ? demande Ben.
‒ Avec les prisonniers de Jassak ! Ne t'inquiète pas, on ne va pas tarder à la retrouver. Tu as fait du beau travail, Ben, c'est grâce à toi qu'on a pu réussir !
Ben n'arrive pas à faire le lien entre sa fuite désespérée et la formidable invasion qui est en train de détruire le pouvoir de l'intérieur. Mais autant profiter du compliment.
‒ L'Arbre m'a dit que je pourrais trouver un corps ici, et de quoi retourner dans mon monde ! Il faut que tu m'aides ! Tu me dois bien ça !
‒ Je t'aide, Ben, qu'est-ce que tu crois ? J'ai abandonné l'armée pour mener l'assaut avec cette petite bande de têtes brûlées, uniquement pour trouver et conquérir ta récompense !
‒ Que... Si ça c'est une petite bande, elle fait quelle taille ton armée ?
‒ Grande ! Mais j'avais un poste trop haut placé. Je préfère le champ de bataille ! Ne t'inquiète pas, avec nous tu es sûr de trouver la relique, de sauver Kasta et de démolir du tape-boulon jusqu'à en faire des roues !
‒ Des roues, pourquoi faire ?
La jeune fille rit et ne répond pas. Après réflexion, Ben trouve une meilleure question :
‒ De quelle relique tu parles ?
‒ Ton futur corps, le seul corps vivant de l'au-delà qu'on puisse voler ! Il est bien gardé, mais ils ont tort d'abandonner les prisonniers derrière eux...
Le bruit derrière eux confirme les dires de la femme-serpent : plus le moindre grelot, mais les innombrables chocs du palais en train d'être démoli par les anciens esclaves de Jassak, pris dans la fièvre de la lutte.
Au milieu des hurlements sauvages le cri de guerre majoritaire reste « Achevons-les ! ». Les humains n'ont pas l'air de s'apercevoir qu'ils suivent une dangereuse rebelle qui les emmène tous vers un effacement presque certain. Même si pour l'instant les lieux sont vides.
Sans-nom explique à Ben que les soldats de Jassak sont presque tous face à ceux de Fulmur et que ceux restant bloquent l'accès à la tour centrale où est cachée la relique. Dès qu'ils auront finit d'ouvrir les prisons les rebelles lanceront l'assaut.
Pour le moment ils errent de cachot en cachot, détruisant les chaînes de ceux qui étaient trop dangereux pour être réduits à l'esclavage. Et ils retrouvent Kasta.
La sirène est plus faible et terne que jamais. Elle n'a pas eu la force de suivre Sans-nom lorsque celle-ci s'est évadée. Elle gémit, face contre terre, sans avoir assez d'énergie pour bouger ni même se laisser mourir. Elle ne sursaute pas quand la porte de son cachot est défoncée par le trident de la femme-serpent.
‒ Kasta ! s'exclame Ben en descendant et en courant vers elle.
La sirène ne réagit pas. Il lui tend la bouteille. En une seconde Kasta l'attrape, la débouche et la vide. La vie en elle parait se ranimer. D'un battement de queue elle s'élève au-dessus du sol. Un sourire dément lui élargit la bouche tandis que ses yeux brillent comme une guirlande de Noël.
‒ Ça, mon gars... ça, c'est fameux !
Elle éclate de rire. Au-dehors de la cellule les rebelles ont continué leur chemin, à l'exception de Sans-nom qui les attend. La sirène éclate de rire et lui prend son trident. L'arme fait plus de deux mètres de long et elle avait paru redoutable dans les mains de la femme-serpent.
Mais une fois entre les frêles bras de la femme-poisson le trident parait s'allonger, s'aiguiser, s'alourdir : c'est une arme de sirène et Kasta est une redoutable sirène. Elle fonce dehors en criant avec les autres « Achevons-les ! »
Ben reste quelques secondes médusé. Sans-nom lui prend sa bouteille et la brise pour en faire une deuxième arme. Elle lui fait signe de remonter sur son dos et il obéit. La libération est en train de prendre fin. Les rebelles se réunissent avant de prendre d'assaut la tour. Le silence s'est fait peu à peu tandis qu'ils attendaient le signal de la femme-serpent.
Le véritable combat commence ici. Sans-nom sourit. Le plaisir de la vengeance est inscrit dans ses yeux. Mais quelle que soit sa haine elle pense à organiser l'assaut pour éviter au maximum les pertes. Ben aurait juré qu'il était impossible de faire entendre raison à cette troupe chaotique mais tous écoutent passionnément la voix sifflante de celle qui les a libérés. Puis ils attaquent.
Les esclaves armés de Jassak ont tous été envoyés combattre Fulmur et il ne reste ici que des robots. Les tape-boulons aux trois pattes se lancent en l'air, tourbillonnant sur eux-mêmes, leurs pieds effilés formant un disque plus tranchant qu'un rasoir.
De nombreux morts perdent un bras, une jambe, la tête. Sans un mot ils ramassent les membres tombés et poursuivent le combat. Il est difficile de venir à bout des créatures de bronze même avec les outils conçus pour torturer le métal. Les monstres s'écroulent les uns après les autres, même les plus redoutables, les crocs encore pleins de rouages arrachés à leurs adversaires éventrés.
Les morts persévèrent et finissent par ouvrir une brèche sur l'un des flancs de la Tour. Ben est horrifié. Tout ça pour que lui seul puisse rentrer chez lui. Un droit qu'il a gagné en mourant de la bonne manière au bon moment.
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Au-delà
FantasyArrivé dans l'autre monde, le pauvre Ben s'aperçoit que passer dans l'autre coté n'était que le début de ses ennuis. Entre dieux, monstres et bureaucrates, parviendra-t-il à échapper à son sort ? Une histoire beaucoup plus délirante que ce que je fa...