Une partie des nuages brillamment colorés s'assombrit. Un immense oiseau vient jusqu'à eux. Le combat s'arrête, chacun se retranche sur ses positions tout en guettant le nouveau venu.
Ses longues plumes noires paraissent sculptées dans la pierre. Son bec est hérissé de dents. Ses yeux grands comme l'avant-bras d'un homme brillent comme des diamants. Et il donne l'impression d'être en train de sourire.
Il inspecte le champ de bataille méticuleusement, penche la tête d'un coté puis de l'autre, puis se courbe jusqu'à ce que sa tête touche le sol devant Sans-nom et Ben.
« C'est toi, dit-il, c'est toi qui a aidé ma fille.
La femme-serpent secoue la tête et fait descendre Ben. Il proteste :
‒ Mais je ne sais pas de quoi vous parlez !
Sans-nom lui donne un coup de coude dans les côtes et chuchote :
‒ Tu portes son baiser sur ta joue ! Ce corbeau est très puissant, tu peux lui demander beaucoup pour te remercier d'avoir aidé sa gamine !
Machinalement Ben porte la main à sa joue. Le baiser de la fillette-corbeau l'avait brûlé. Il comprend à présent que c'était une sorte de reconnaissance de dette.
Maintenant le grand corbeau pourrait lui rembourser ce feu au centuple. L'humain sourit. Tout ça pour un tee-shirt imbibé de sang...
‒ Ma fille, continue le corbeau, serait morte sans toi, perdue dans la plaine, loin de ses parents, ou tuée, comme un bouc émissaire, par les humains. Je te remercie.
‒ Heu... pour me remercier, est-ce que vous ne pourriez pas... par hasard... détruire les robots de Jassak ? Heu, s'il vous plaît ?
‒ Les dieux et les oiseaux ont signé une alliance il y a bien longtemps... Mais voilà que les dieux sont renversés. Est-il plus sage de déclarer la paix ou de compter sur les vaincus ?
Le corbeau se redresse et s'ébroue. Des centaines de plumes noires tombent. Plus solides que l'acier, plus aiguisées que des sabres, légères, elles font des épées providentielles pour les soldats rebelles qui s'en emparent avidement.
‒ Hélas, dit l'oiseau, j'ai promis. Ma famille te règlera sa dette plus tard... dans ce monde ou dans un autre. Nous nous reverrons, humain généreux. »
Il s'envole. Et la bataille reprend son cours. Mais tout a changé grâce aux plumes qui tranchent facilement les robots les plus résistants. La percée des rebelles est irrépressible. Enfin ils parviennent à s'emparer de la Tour.
Au centre, la salle du trône de Jassak.
Ben pense que la femme-serpent va s'asseoir dessus... Mais à quoi bon remplacer un tyran par un autre ? Elle enlace le trône de ses puissants anneaux et serre jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des débris, sous les hurlements de joie de ses troupes.
On emmène Ben jusqu'à la salle du trésor où sont cachées les plus précieuses inventions du dieu de la folie. Il y a bien un corps d'humain vivant, un corps minuscule confortablement installé dans un œuf de bronze, un corps prêt à accueillir une âme et à grandir.
« Une fois là-dedans, dit Kasta, tu nous oublieras.
‒ Mais comment je peux entrer là-dedans ?
‒ Une âme, c'est minuscule, qu'est-ce que tu crois... Abandonne ton ectoplasme et entre dans l'œuf. J'irai moi-même le déposer de l'autre coté de l'océan. Quand Fulmur sera mort, ma malédiction sera levée.
‒ Et Fulmur mourra bientôt, promet solennellement la femme-serpent. Aie confiance en nous.
Ben les regarde toutes les deux. Il a envie de pleurer. Oui, il veut rentrer chez lui, à n'importe quel prix. Cette séparation est un prix élevé, bien qu'il connaisse à peine ses deux amies. Il est prêt à le payer.
‒ J'ai confiance en vous. Adieu. Je... Je suis heureux de vous connaître.
‒ Au revoir, corrige Sans-nom. Tu reviendras forcément un jour. Profite de ta vie et de ton monde étrange. Moi je m'occupe de celui-ci. »
Ben les enlace toutes les deux, rapidement, surpris par sa propre audace. Puis il se concentre pour s'abandonner à l'œuf. Il y arrive sans mal. Ce n'est peut-être pas la première fois qu'il le fait.
Et quelques temps plus tard, dans un autre monde...
« Mais si, je te jure que j'ai vu une sirène !
‒ Tu es déjà bourré ? Tu as dû voir une baigneuse...
‒ Une baigneuse avec les cheveux verts ? En plein mois de novembre ?
‒ Une baigneuse bizarre. Point.
‒ N'empêche qu'elle a posé un bébé sur la plage et qu'elle s'est tirée ! Je n'ai pas rêvé, je te dis !
‒ Un bébé ? Sérieusement, c'était à quelle heure ta première bière ?
‒ Rah, tu m'énerves ! Je te dis que j'ai vu une femme avec une queue de poisson poser un bébé sur la plage ! Même qu'il est chez moi !
‒ Comment ça ?
‒ Ben, j'allais pas laisser ce gosse crever de froid comme ça... Ma femme s'en occupe. Et je vais aller en parler aux gendarmes ! Parfaitement !
‒ Tu as raison pour le bébé, mais à ta place, j'éviterai de parler de la sirène... »
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Au-delà
FantasyArrivé dans l'autre monde, le pauvre Ben s'aperçoit que passer dans l'autre coté n'était que le début de ses ennuis. Entre dieux, monstres et bureaucrates, parviendra-t-il à échapper à son sort ? Une histoire beaucoup plus délirante que ce que je fa...