L'auberge du Cheval Rouge

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6 février 1914

5h30 :

Le modeste chariot roule sous la lune qui veille sur moi comme sur ma famille. Le vent froid nous gifle brutalement le visage et l'humidité accentue cette impression. Je suis bien content d'avoir une couverture supplémentaire.

Nous sommes partis très tôt pour arriver au plus vite à Saint-Jean-de-Maurienne où nous ferons une étape l'espace d'une journée afin de nous réapprovisionner en nourriture. C'est une aubaine pour moi, je vais pouvoir vendre quelques articles de mercerie bien que je sache que la concurrence est importante à Saint-Jean-de-Maurienne.

L'apprenti de Maître Blanchon n'est, en effet, pas bavard. Il s'appelle Pierre et il a 10 ans. Ses parents l'ont confié au maître-ramoneur afin qu'il apprenne le métier mais cela ne semble pas l'enthousiasmer. Ce n'était peut-être pas sa vocation. La vie est ainsi faite : quand le père de famille décide, les enfants n'ont qu'à obéir. Quand je rentrerai, il faudra que j'en parle à Jeanne !

Malgré tout, je ne peux m'empêcher de plaindre ce garçon qui est encore un enfant. La vie de ramoneur est difficile et il ne va plus pouvoir aller à l'école comme les enfants de son âge pendant l'hiver.

11h :

Nous venons de dépasser Modane. Je me souviens encore de mon dernier passage ici dans le froid et la neige. Je marchais seul avec la montagne en face de moi pour unique compagnie. Heureusement, aujourd'hui il fait beau et doux. J'espère que cela continuera ainsi !

Mr Blanchon s'appelle en fait Louis. C'est un compagnon de voyage agréable mais je le trouve très dur avec son jeune apprenti. Il ne fait preuve d'aucune compréhension ni d'aucun sentiment pour ce garçon. Peut-être qu'il a été apprenti aussi avant et que cela a été très dur pour lui . À première vue, il semble plein d'humour et de joie, mais si on regarde au fond de lui et qu'on le connaît un peu plus, il est froid, sans pitié et sans peine.

18h :

Nous sommes arrivés en fin d'après-midi à Saint Jean de Maurienne. La petite cité semble très animée et de nombreux vendeurs sont regroupés sur le pré de foire. Nous nous empressons d'acheter du pain, du fromage, du saucisson et un litre de vin de Savoie pour nous ravitailler jusqu'à la fin du périple. Je paie la plus grande partie des vivres pour dédommager Louis pour le voyage en charrette. Comme on dit les bons comptes font les bons amis. Mais je ne suis pas sûr que je puisse l'avoir comme ami de cœur !!!

J'en profite pour vendre les dernières bobines et aiguilles qui restent dans ma hotte. Quelques femmes coquettes s'empressent de me demander si j'ai encore des rubans de velours. Je n'en ai plus mais je leur promets de rapporter à mon retour de jolies choses de Chambéry pour embellir leurs tenues. Je suis sûr qu'elles vont guetter mon passage avec impatience !

Nous avons prévu de passer la nuit à l'auberge du Cheval Rouge. Un voyage aussi agréable me donne des goûts de bourgeois !

10 février 1914

19h :

La nuit commence à tomber alors que nous franchissons les portes du Faubourg Montmélian à l'entrée de Chambéry. Jamais un voyage ne m'a semblé si confortable et si court pour venir d'Avérole. Après avoir dit au revoir à Louis, avoir longuement serré dans mes bras le jeune Pierre avec lequel j'avais noué une relation de confiance, je m'éloigne à pieds dans les rues pavées de la cité des Ducs de Savoie en direction de la rue Juiverie. Il fait froid, j'entre dans l'auberge, un grand feu est allumé dans la cheminée en pierre. Je demande une chambre pour la nuit au tenancier. Il me conduit à la chambre numéro 9, c'est mon chiffre préféré. C'est sans doute un bon présage pour mon séjour à Chambéry !

La pièce abrite une cheminée où un feu ardent est alimenté pour réchauffer l'atmosphère, cela va me faire le plus grand bien ! Demain, je me rendrai à la boutique de mercerie. Je commence par faire ma toilette, je n'en n'ai pas fait depuis au moins 3 jours ! Je vais me coucher, le chanvre des draps irrite ma peau lavée. Je peine à m'endormir alors je me réfugie dans l'écriture de mon journal. Demain sera un grand jour.

11 février 1914

10h :

Je suis devant la mercerie, le nom de la boutique est Chappaz Mercerie. J'entre. L'échoppe est remplie de rubans, de fil, d'aiguilles, de tissus et encore de toutes sortes de choses fantastiques dont je ne pourrais citer tous les noms! Je demande à la dame quel produit pourrait plaire à mes clientes. Elle me répond que ce qui est apprécié en ce moment est le velours rouge et le fil doré alors j'en prends un stock conséquent. Je complète mes achats par des dés à coudre, beaucoup de tissu. J'explique à la mercière que je viens d'Avérole et que je suis colporteur. Elle sursaute et me dit:

« Avérole, vous devez connaître Henry Chappaz, c'est mon frère, je n'ai plus de ses nouvelles depuis longtemps. Quand devez-vous repartir ? »

Chappaz, mais bien sûr ! La boutique s'appelle Chappaz Mercerie j'aurais dû y penser plus tôt! Je lui réponds que je dois repartir demain matin, je ne peux pas trop m'attarder à Chambéry car l'auberge coûte cher.

« Vous n'avez qu'à venir dormir et manger chez moi. Vous me donnerez des nouvelles de mon frère et de sa famille. »

Je la remercie et j'accepte sa proposition avec un plaisir total ! L'argent que je vais économiser pour mon hébergement à Chambéry va me permettre d'acquérir plus de marchandises à rapporter pour mes tournées. Elle me montre l'entrée de sa maison et me dit de frapper trois fois puis d'entrer quand j'arriverai.

Je la remercie une dernière fois et je prends congé tout guilleret.

Je vais flâner et visiter Chambéry. Je n'oublie pas la promesse faite à Jeanne alors je me mets en quête d'un cadeau que je pourrais lui rapporter.




Le journal d'un colporteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant