Des cris. Trop de cris.
Je me hâtai d'éponger cette mare rouge qui ne cessait de sortir de son corps. Les cris d'épouvantes des jeunes femmes autour de moi ne m'aidaient pas à me concentrer.
J'essuyai avec mon bras les gouttes de sueur qui perlèrent mon front. La situation était délicate.
« Apportez-moi plus de linges et de l'huile ! »
Quand je vis qu'elles ne bougeaient pas, terrorisées par le spectacle que je leur offrais, je leur criai dessus. La matrone les expulsa dehors, et j'espérai sincèrement qu'elles reviendraient avec les objets demandés.
Avec cette femme aux cheveux bruns qui régnait en terreur sur les femmes du château à mes côtés, je continuai d'éponger le peu de sang s'écoulant encore. Je m'emparai ensuite d'une dague dont je chauffais la pointe au feu ardent de la cheminée. Le fer fut enveloppé d'une couleur rougeâtre que j'appréciais. Si la belle endormie ne se réveillait pas, j'allai devoir l'ouvrir. J'espérai sincèrement ne pas à avoir recours à cette méthode.
À mon grand soulagement, les femmes revinrent avec les draps et l'huile. Je m'enduisis les avant-bras de la substance visqueuse et collante puis plongeai une main dans l'ouverture sombre et étroite. Des hoquets de stupeur suivirent ma démarche, mais je ne les écoutais plus.
Je remarquai la chaleur de l'antre et enfonçai plus profondément ma main. Je touchai enfin une surface gélatineuse. Je pris cette surface et la tournai pour qu'elle se décoince. Enfin vers la sortie, je retirai la partie étrangère de son corps et laissai la tête passée doucement par le passage étroit.
Heureusement, ce fut à ce moment-là que la jeune mère se réveilla en poussant un cri strident. La matrone se précipita sur la femme et lui tint la main qu'elle pressait avec force.
« Élisabeth, calme-toi, tout va bien, dis-je à la patiente. Elle me regarda enfin avec de grands yeux apeurés.
– J'ai mal, souffla-t-elle.
– Je sais, mais c'est bientôt fini. À chaque fois qu'il y aura une contraction, il faudra pousser, d'accord ?
– Non, non, non... » murmura-t-elle affolée.
Ses pleurs redoublèrent, mais je n'eus pas le temps de lui parler, car une contraction vint nous déranger.
« Poussez ! » cria la matrone, autoritaire comme à son habitude.
Après quelques minutes de souffrances, les endorphines firent effet. Et les cris des bambins envahirent la chambre. Toutes les femmes laissèrent leurs joies exploser avec des rires et des accolades. Je laissai la matriarche et les autres femmes s'occuper du placenta et des jumeaux qui venaient de naître. Ils devaient subir des rituels spécifiques.
Les nouveau-nés furent nettoyés dans un bain de rose et d'autres fleurs tandis que la mère fut changée elle aussi. J'avais laissé le placenta au soin à la matrone. J'espérai qu'aucune infection ne se manifesterait plus tard. De mon côté, j'essayai tant bien que mal d'enlever toute l'huile qui ornait mes bras, tout en lavant mon visage taché de sang. Par contre, ma robe était fichue. Même un lavage à l'eau froide ne ferait pas partir les taches rouges.
« Merci, » chuchota Élisabeth.
Je me retournai pour la voir avec ses petits dans les bras. Elle était radieuse, malgré ses cernes grises surplombant son joli visage. Je souris, puis m'avançai pour voir ma nièce et mon neveu. Encore roses, ils avaient les yeux fermés et ne faisaient plus autant de bruits qu'avant.
La vieille femme reprit du poil de la bête et lança des ordres à tout-va aux femmes. Elles s'exécutèrent et se hâtèrent de ranger la pièce et de rassembler les vêtements ensanglantés dans un coin de la chambre, et bien sûr, à l'abri du regard de Dame Élisabeth.
VOUS LISEZ
Les Changeurs de Destins - Le Royaume d'Hélia
FantasyDes êtres traversent le temps et l'espace pour changer le destin de certaines personnes. Aider le "héros", changer son destin, et retrouver leur moitié, c'était leur mission. Ambre se retrouve dans le corps d'une princesse dans un temps médiéval. Ap...