Chapitre II

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PDV LILLIA~
J'ai eu du mal à choisir ma tenue. Au début, j'ai pensé à un ensemble décontracté, du style jean et chemisier, et puis je me suis dit que non, parce que si ses parents étaient là, il valait mieux porter quelque chose de sombre, comme ma robe grise décolletée avec sa fine ceinture. Mais on aurait cru que j'allais à un enterrement, alors j'ai essayé une robe-chemisier en soie orangée qui, finalement, était bien trop printanière, trop joyeuse.
Le ding de l'ascenseur retentit, les portes s'ouvrent et je sors dans le couloir. On est lundi matin, une heure avant le début des cours. J'ai avec moi un panier en osier rempli de cookies aux pépites de chocolat cuits du jour et une carte de prompt rétablissement couverte de marques de rouge à lèvres rose et carmin. J'ai revêtu un pull à col roulé bleu marine, une mini-jupe camel, des collants crème et des bottines en daim marron à talons. Je me suis frisé les cheveux et j'en ai relevé la moitié.
Avec un peu de chance, mon visage ne trahit pas la culpabilité qui me ronge.
Je me répète en boucle qu'heureusement, c'est moins grave que ça aurait pu l'être. Ça en avait pourtant tout l'air, l'autre nuit. C'était horrible, même. Regarder Reeve tomber de la scène et atterrir sur le sol du gymnase comme un pantin désarticulé... je n'oublierai jamais cette image. Toutefois, sa colonne vertébrale n'est pas touchée, il souffre juste de quelques contusions et douleurs, et s'en sort avec une fracture du péroné. Ce qui n'est pas génial, j'en ai bien conscience.
Reeve aurait pu quitter l'hôpital plus tôt si les médecins n'avaient pas souhaité lui faire passer une batterie de tests pour exclure une crise d'épilepsie. Pour autant que je sache, ils ne lui ont pas fait de dépistage de drogues. J'étais persuadée qu'ils le feraient, mais Kat était convaincue qu'ils ne s'en donneraient pas la peine, puisque c'est un athlète. Par conséquent, personne n'est au courant pour l'ecstasy que j'ai versée en douce dans son verre. Reeve ne sera pas suspendu et je ne vais pas aller en prison. Normalement, il devrait sortir aujourd'hui.
J'imagine qu'on s'en tire bien tous les deux.

Nous allons pouvoir reprendre le cours normal de nos vies, peu importe ce que ça signifie. Après tout ce qui s'est passé cette année, je ne suis pas sûre de pouvoir me sentir à nouveau « normale » un jour, ni même d'en avoir envie. On dirait que la Lillia d'avant et la Lillia d'après sont deux personnes différentes. La Lillia d'avant était insouciante, elle ne connaissait rien à la vie. La Lillia d'avant n'aurait pas pu supporter tout ça ; elle n'aurait pas su comment réagir. Je suis bien plus endurcie désormais, je ne suis plus aussi pure et angélique. J'ai surmonté des épreuves ; j'ai vu des choses. Je ne suis plus la fille de la plage. Tout a changé lorsque nous avons rencontré ces garçons.
Avant, j'avais peur de quitter Jar Island, de vivre loin de ma famille et de mes amis. Mais maintenant, je me dis que quand je serai à l'université l'année prochaine, personne ne connaîtra la Lillia d'avant et la Lillia d'après. Je serai Lillia, tout simplement.
La réceptionniste me sourit et me demande :
— Tu es venue voir notre célèbre joueur de foot ? (Je lui rends son sourire en hochant la tête.) Il est au bout du couloir.
— Merci. Est-ce qu'il y a quelqu'un avec lui ?
— Oui, une jolie petite brune, répond la femme en m'adressant un clin d'œil.
Rennie. Je crois qu'elle est restée à son chevet depuis samedi soir. Je l'ai appelée à deux reprises, mais elle n'a pas décroché. Elle m'en veut probablement encore d'avoir été élue reine du bal des étudiants à sa place.
Je remonte le couloir en serrant mon panier et ma carte. J'ai toujours détesté les hôpitaux. Les néons, les odeurs... Quand j'étais petite, j'essayais de retenir ma respiration le plus longtemps possible. J'y arrive bien désormais, mais je ne joue plus à ce jeu.
À mesure que j'approche, mon pouls accélère. Seuls mes battements de cœur et le bruit de mes talons claquant sur le linoleum parviennent à mes oreilles.
Je m'arrête devant la porte légèrement entrouverte de sa chambre, sur laquelle son nom est écrit. Alors que je pose mon panier pour frapper, j'entends la voix de Reeve, défiante et rauque :

Je me fous de ce que disent les médecins. Ma convalescence ne peut pas être aussi longue, impossible. Je suis au top de ma forme. Je vais revenir sur le terrain en un rien de temps.
On va leur montrer, Reevie, le conforte Rennie en reniflant.
Quelqu'un me frôle en passant. Une infirmière.
— Excuse-moi, ma belle, dit-elle gaiement en ouvrant grand la porte.
Elle ferme le rideau qui sépare la pièce en deux et disparaît de l'autre côté.
C'est là que j'aperçois Reeve, dans sa chemise d'hôpital défraîchie. Il n'est pas rasé : il a un peu de duvet sur le menton, et des cernes sous les yeux. Une perfusion est reliée à son bras, et sa jambe est emprisonnée dans un énorme plâtre qui remonte du pied jusqu'à la cuisse. Ses orteils, du moins ce que je peux en voir sortir du plâtre, sont violets et tuméfiés.Ses bras sont couverts de coupures et de croûtes, probablement à cause des éclats de verre tombés sur la tête de tous les danseurs cette nuit-là. Quelques plaies plus importantes ont été suturées à l'aide de fins points noirs. Il a l'air étonnamment petit dans son lit d'hôpital, différent de d'habitude.
En me voyant, Rennie plisse ses yeux rougis.
— Salut, Lil.
Je déglutis et tends ma carte à Reeve.
— De la part des filles de l'équipe. Elles... elles t'adressent leurs meilleurs vœux de rétablissement. (Puis, je me souviens des cookies. Je m'avance pour lui apporter le panier, mais je change d'avis et le pose sur une chaise près de la porte.) Je t'ai apporté des cookies. Aux pépites de chocolat. Si je me rappelle bien, tu les as appréciés quand j'en ai préparé pour la vente de gâteaux du groupe de tutorat l'année dernière...
Mais pourquoi est-ce que je continue de parler ?
Reeve s'essuie rapidement les yeux avec son drap. D'un ton bourru, il me lance :

— Merci, mais je ne mange pas de cochonneries pendant la saison de foot.
Je ne peux pas m'empêcher de fixer son plâtre.
— C'est vrai. Désolée.
— Le docteur va revenir d'une minute à l'autre pour signer son bon de sortie, explique Rennie. Tu ferais mieux de partir.
Je sens le rouge me monter aux joues.
— Oui, bien sûr. Remets-toi vite, Reeve.
Peut-être que c'est mon imagination qui me joue des tours, mais lorsqu'il me regarde par-dessus l'épaule de Rennie, j'ai l'impression de lire de la haine dans ses yeux. Il les referme soudain.
— Au revoir, conclut-il.
Je traverse la moitié du couloir avant de m'arrêter et d'expirer enfin. Mes genoux tremblent. Je tiens toujours la carte serrée entre mes mains.

MensongesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant