Chapitre 14

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PDV Mary ~

Aujourd'hui, dans le hall du lycée, Lillia m'a expliqué qu'elle avait demandé à quelques-uns de ses amis de l'aider à déménager la sono et à la transporter en voiture jusqu'à l'école primaire. Ce soir a lieu la Fête de l'automne, l'événement qu'elle organise pour les petits. Mais ils avaient tous entraînement.
— Et bien sûr, Reeve a fait mine de ne pas m'entendre.
J'ai secoué la tête.
— Bien sûr qu'il t'a entendu.
Lillia était au bord des larmes.
— Ça va me prendre des plombes de charger mon Audi toute seule.
— Mais non, Lil, je vais t'aider !
Le visage de Lillia s'est illuminé.
— Merci beaucoup, Mary.

Je me retrouve donc à courir jusqu'à l'entrée de service, près du théâtre. Je ne suis pas très forte, mais à deux, ça devrait déjà être un peu plus rapide.
Au lieu de me frayer un chemin au milieu des élèves qui sortent de l'école, je coupe à travers le parking de derrière. C'est là que je vois le 4x4 d'Alex garé à côté de l'entrée de service, juste derrière l'Audi de Lillia. Il est en train de sortir des cartons du coffre de la voiture de Lillia pour les charger dans la sienne. La porte est ouverte, et Lillia sort du bâtiment, vêtue d'un manteau ivoire, une longue écharpe enroulée autour du cou, avec un gros carton qui la déséquilibre. Alex se précipite pour l'aider.
— Alex, dit-elle en levant les yeux. Oh, mon Dieu.
J'hésite à avancer et observe la scène.

Alex lui prend le carton des mains.
— Attends Lil, tu ne voudrais pas salir ton manteau, quand même.
— Je le tiens, insiste-t-elle, et alors qu'il essaye de l'attraper, ils rient tous les deux parce qu'elle manque de le laisser tomber. Il faut que tu files à l'entraînement.
— Donne-le-moi, dit-il d'une voix douce.
Lillia finit par lâcher son carton. Alex semble surpris par son poids. Il lui échappe presque des mains, mais il resserre sa prise au dernier moment.
Pendant ce temps, Lillia scrute le parking.
Je m'avance et lui souris, mais elle agite la main, comme si je n'avais pas besoin d'intervenir.
— Merci, dit-elle, le souffle court, quand Alex lève la tête. Il n'en reste plus que trois à l'intérieur.
Elle s'apprête à entrer dans le théâtre, mais Alex l'arrête.

— Attends-moi ici, je vais les chercher.
Lillia s'adosse à sa voiture. Le vent s'est levé, et ses cheveux lui balayent le visage.
— Je te revaudrai ça, Skud ! lance-t-elle. Merci beaucoup !
Je suis sur le point de repartir, quand je le repère soudain : à environ quatre ou cinq mètres de moi, Reeve est au volant de sa camionnette. Il les a vus, lui aussi. Avec un air renfrogné, il passe la marche arrière. Il est parti avant même qu'ils l'aient remarqué.

Lorsque je rentre chez moi, la Volvo de tante Bette n'est plus dans l'allée. Même si je rechigne à l'avouer, je me sens soulagée.
J'aimerais pouvoir raconter à quelqu'un à quel point le comportement de tante Bette est étrange en ce moment. J'ai l'intention d'en discuter avec mes parents, mais l'idée me fait peur. Tante Bette est la sœur de ma mère, après tout. Je ne veux pas que Maman se mette en colère, ni qu'elle soumette tante Bette à un interrogatoire pour tirer cette histoire au clair. Je... Je me fais juste du souci pour elle.

Je dépose mon sac dans la cuisine et monte l'escalier en appelant son nom plusieurs fois pour m'assurer qu'elle n'est pas à la maison. Elle sursaute facilement ces derniers temps. J'essaye d'être attentionnée avec elle, de la laisser respirer. Je ne veux pas aggraver la situation.
En haut des marches, je remarque que la porte de la chambre de tante Bette est légèrement entrouverte. D'habitude, elle la ferme à clé. Je m'avance doucement et jette un coup d'œil à l'intérieur.
Des livres sont éparpillés partout sur le sol. Il y en a au moins une centaine, empilés dans un équilibre précaire sur le tapis marocain de tante Bette. Ils sont moisis et couverts de tissu. Le genre qui prend la poussière à la bibliothèque. Le genre qu'on trouve dans les vide-greniers.
J'entre dans la pièce en veillant à ne rien toucher, parce que je suis convaincue que tante Bette piquerait une crise si elle découvrait que j'ai fouillé sa chambre. Je m'accroupis et tente de déchiffrer les titres sur quelques dos, mais la plupart sont écrits en langues étrangères. On dirait du latin, peut-être. D'autres sont en espagnol, et ça me fait penser que je suis tellement à la traîne dans le cours de señor Tremont que c'en est désespérant. Quelques ouvrages sont ouverts, mais sur des pages qui ne contiennent aucun mot, uniquement des hiéroglyphes, enfin, je crois. Des symboles et des nombres qui n'ont aucun sens pour moi.

La Volvo de tante Bette se traîne dans l'allée. Je me lève d'un bond et me dirige vers la porte. C'est là que je remarque la cloison qui sépare la chambre de tante Bette de la mienne. Celle à droite de son lit.
Avant, elle était couverte de ses productions artistiques. Des photos, des peintures, des portraits. Mais tout a été enlevé, à l'exception de minuscules clous fichés dans le mur. Même la commode de tante Bette, celle avec quatre tiroirs qui était adossée au mur, a été poussée sur le côté.
La cloison est entièrement nue.
Du moins, c'est ce que j'ai pensé au début. Mais à y regarder de plus près, tante Bette a entortillé une cordelette coquille d'œuf, de la même couleur que le mur, autour des clous. Peut-être même qu'il s'agit du fil qu'elle a utilisé pour nouer ses paquets d'herbes. Elle a formé une sorte de motif. On dirait une étoile biscornue.
La même que celle que j'aperçois dans l'un des livres ouverts.

Oh mon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe ici ?
Je sors en trombe de sa chambre et file dans la mienne. Tante Bette ouvre la porte de la cuisine et m'appelle.
— Je suis en haut !
J'espère que ma voix a l'air normale. Puis, je prie pour qu'elle ne monte pas. Heureusement, elle ne le fait pas. Je l'entends ouvrir le robinet, probablement pour remplir sa bouilloire.
J'avance à pas de loup jusqu'à mon lit et m'assois sur le matelas, qui est collé à la cloison. Je tends le bras pour la toucher, histoire de capter je ne sais quoi. De l'énergie. De la chaleur. Quelque chose provenant de l'autre côté.

Tante Bette m'aurait-elle jeté des sorts ?
Je ne pense pas qu'elle tenterait de me faire du mal, mais je dois dire que je ne me sens pas tout à fait en sécurité. D'autant plus que je ne sais pas depuis combien de temps dure tout ce cirque dans sa chambre. Et ce qu'il peut bien me faire.
Toutefois, je ne perçois rien, à part un mur. Un vieux mur tout ce qu'il y a de plus ordinaire.
Évidemment. À quoi je m'attendais ?
J'imagine que quand on vit avec une dingo, c'est difficile de ne pas perdre la tête de temps en temps

MensongesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant