Chapitre III

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PDV KAT~
— C'est mort, dis-je en laissant ma tête retomber contre le volant. Mort de chez mort.
Pat, mon grand frère, s'essuie les mains sur un chiffon sale.
— Kat, arrête de pleurnicher et tourne cette foutue clé encore une fois.
Je fais ce qu'il me demande et mets le contact de notre décapotable. Il ne se passe rien. Pas un bruit, pas un grondement. Rien.
— Laisse tomber.
Même si Pat s'y connaît très bien en mécanique, il n'y a aucun moyen de sauver ce vieux tacot. Notre famille a besoin d'une nouvelle voiture, ou du moins, d'une sortie de l'usine il y a moins de dix ans. Je descends de mon siège et claque la portière si fort que toute la décapotable tremble. Hors de question pour moi d'aller à l'école à pied en me gelant le cul cet hiver. Ou pire, de prendre le bus. Je suis en dernière année, merde !

Pat me fusille du regard, puis se concentre à nouveau sur le moteur. Il a ouvert le capot et est penché en avant, entre les phares. Quelques potes à lui sont là, ils l'observent en descendant les bières de notre père. C'est leur occupation préférée le lundi après-midi. Pat demande à Skeeter de lui passer une clé à molette, puis se met à taper avec sur une pièce métallique.
Je me faufile derrière mon frère.
— Peut-être que c'est la batterie. Je crois que la radio s'est éteinte avant que le reste commence à merder.
C'est arrivé cet après-midi. J'avais décidé de sécher le dernier cours et de passer chez Mary. Je voulais savoir si elle allait bien, parce que je ne l'avais pas croisée dans les couloirs. Elle était sûrement trop secouée pour retourner à l'école après le bal. La pauvre, elle flippait complètement à l'idée d'avoir fait du mal à Reeve.
Mais je ne suis pas allée bien loin. La voiture m'a lâchée sur le parking du bahut.

Ma première pensée a été Est-ce que c'est mon karma qui me joue des tours ?
J'espère franchement que non.
Pat se retourne pour attraper un autre outil et manque de me faire tomber sur le cul.
— Putain, tu vas te calmer ou quoi ? Je sais pas, va fumer une clope, par exemple.
Je suis un peu... euh... nerveuse depuis quelques jours. Je veux dire, qui ne le serait pas après tout ce qui s'est passé au bal des étudiants ?
Jamais, ô grand jamais je ne me serais attendue à voir Reeve quitter le bal sur le brancard d'une ambulance. On voulait que les profs le chopent en plein trip et le virent de l'équipe de foot, pas qu'il finisse à l'hôpital.
Je me répète sans arrêt qu'on n'y est pour rien dans ce qui est arrivé. C'était un incendie d'origine électrique. Même le journal l'a confirmé aujourd'hui. L'incident est clos. Ce sont les explosions qui ont foutu la frousse à Reeve et l'ont fait tomber de la scène, pas la drogue que Lillia a versée dans son verre. Les faits parlent d'eux-mêmes.

Honnêtement, cette histoire est un mal pour un bien. Bien sûr, ça craint que des personnes aient été blessées. Quelques gamins ont eu des points de suture à cause du verre brisé, un première année a eu le bras brûlé par les étincelles et un des profs les plus âgés a été soigné pour intoxication aux fumées. Malgré tout, l'incendie a permis de détourner l'attention de nous. La blessure de Reeve n'est qu'une conséquence dramatique de tout ce chaos. Impossible qu'il se souvienne que Lillia lui a donné une boisson contenant de la drogue au milieu du bordel ambiant.
Du moins, c'est ce que je me tue à dire à Lillia.
Pat soulève la jauge d'huile argentée devant ses potes et tous secouent la tête, comme s'ils assistaient à un spectacle comique.
— Putain, Kat ! C'est quand la dernière fois que tu as contrôlé le niveau d'huile ?
— Je croyais que c'était à toi de le faire.
— Ça fait partie de l'entretien de base d'une bagnole !

Je lève les yeux au ciel.
— Tu as pris mes clopes ?
— Juste une ou deux, répond-il d'un air penaud.
Pat tend le doigt vers son établi. Je file les récupérer, et bien évidemment, le paquet que je viens d'acheter est vide. Je le lui jette à la tête.
— Tu veux que je te dépose à la station-service ? me propose Ricky, le casque à la main. Il faut que je fasse le plein de ma bécane, de toute manière.
— Merci, Ricky.
Lorsque nous sortons du garage, Ricky pose la main au creux de mes reins. Immédiatement, je repense à Alex Kudjak lors du bal, à la façon dont il a galamment escorté Lillia hors de ce champ de bataille pour la mettre en sécurité. J'aurais préféré ne pas assister à cette scène. Non pas que je sois jalouse, c'est juste que le côté mièvre m'a donné mal à l'estomac. Je me demande s'il voulait seulement être gentil, ou s'il en pince pour elle. Quoi qu'il en soit, ça m'est bien égal. En grimpant derrière Ricky sur sa moto, je m'approche au maximum jusqu'à ce que nous nous retrouvions quasiment collés l'un à l'autre.

Il tourne la tête et me confie à voix basse :
— Tu me rends dingue. Tu le sais, n'est-ce pas ?
Puis, il rabat la visière de son casque, dans laquelle j'entrevois mon reflet. J'ai l'air super sexy. Je lui adresse un clin d'œil et un regard innocent.
Quand je lui ordonne de démarrer, il fait rugir le moteur pour moi.
La vérité, c'est que quand je veux un mec, je peux l'avoir. Et ça vaut également pour Alex Kudjak.
Le soleil se couche sur un ciel gris, et les routes sont pratiquement désertes. C'est toujours comme ça sur Jar Island quand l'automne arrive. Plus de la moitié de la population estivale disparaît. Il reste bien quelques touristes venus faire des herbiers et ce genre de trucs, mais dans l'ensemble, il n'y a plus grand monde. Certains restaurants et boutiques sont déjà fermés pour la saison. C'est déprimant. Je suis trop pressée d'être l'année prochaine et de pouvoir déménager autre part. Avec un peu de chance, ce sera dans l'Ohio, dans une jolie chambre de la cité universitaire d'Oberlin. Je suis prête à vivre n'importe où, tant que ce n'est pas à Jar Island.

Alors que Ricky fait le plein de sa moto, j'achète un nouveau paquet de cigarettes à la boutique de la station. Les clopes sont hyper chères. Je ferais mieux d'arrêter et d'économiser pour la fac. En retournant à la moto, j'aperçois la grande colline qui mène à Middlebury. À la maison de Mary.
— Dis, Ricky, t'es pressé de rentrer ?
Il me sourit.
— On va où ?
Je le guide jusque chez Mary. Personne ne répond quand je sonne à la porte d'entrée, pas même sa sorcière de tante. Une tonne de lettres dépasse de la boîte, et la pelouse est encore plus miteuse que le poil de mon chien Shep. Je contourne la maison et trouve un petit caillou à jeter contre une vitre à l'étage. Les lumières sont éteintes dans la chambre de Mary, et ses rideaux sont tirés. Je guette un signe de vie aux autres fenêtres. Toutes sont plongées dans le noir. La maison a l'air... sinistre. Je lâche le petit caillou que je tenais à la main.

J'aurais aimé parler à Mary juste une seconde pour la rassurer. Elle n'a rien à se reprocher. Elle ne devrait pas se sentir mal pour ce qui est arrivé. Ce connard a eu ce qu'il méritait, purement et simplement. Maintenant que notre vengeance est accomplie, j'espère que Mary va pouvoir reprendre le cours de sa vie et ne plus laisser Reeve Tabatsky la gâcher une seconde de plus.

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