Chapitre7

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PDV MARY~

C'est la fin de la semaine, et je m'apprête à sortir de l'école quand j'entends Kat hurler sur le parking.
C'est un cri enjoué, pas un cri de terreur ou autre. Je regarde autour de moi et la repère à quelques mètres, la cigarette coincée entre les dents, en train d'essayer d'enlever la chemise en flanelle d'un garçon.
Je reconnais plus ou moins le garçon en question. Je ne connais pas son nom, mais je le vois toujours traîner autour de l'école. Je ne pense pas que ce soit un élève. Ou si c'est le cas, ses profs doivent vraiment prendre leurs listes de présence par-dessus la jambe.
Kat pourrait faire partie de l'équipe de lutte du lycée de Jar Island. Elle est hyper légère sur ses jambes. Elle n'arrête pas de bouger, de sautiller sur la pointe des pieds, de se tortiller à gauche à droite pour faire passer le dos de la chemise par-dessus la tête du garçon.

Je parie que c'est son frère, Pat, qui lui a appris à faire ça.
Le garçon titube, et on dirait qu'il ne sait pas trop comment se défendre contre une fille. Kat en tire indéniablement avantage. Elle reste bagarreuse et continue de tirer jusqu'à ce qu'elle lui ait enlevé le plus gros de sa chemise, le distrayant en lui envoyant de petits coups dans les côtes ou en tirant sur l'élastique qui retient ses cheveux mi-longs. Bientôt, il n'agrippe plus sa chemise que par un minuscule bout de manche.
Kat prend appui sur ses pieds, comme si elle se préparait pour une lutte acharnée, puis le met en garde :
— Elle va se déchirer si tu ne la lâches pas, Dan.
— Bon, d'accord, finit par céder le garçon.
Dan, apparemment.
Kat pousse un rugissement de victoire et tourne sur elle-même en agitant la chemise au-dessus de sa tête comme un lasso.

— Tu viens de prendre une bonne leçon, Dan. Quand je veux quelque chose, je l'obtiens. Un point, c'est tout.
Le visage de Dan vire au rose vif. J'éclate de rire, parce qu'elle est vraiment dingue.
Kat doit m'entendre, car elle regarde immédiatement dans ma direction. Elle lève le menton le plus discrètement possible pour me saluer. Je lui souris, et alors que je m'apprête à enfourcher mon vélo pour rentrer chez moi, Kat fait quelque chose d'étonnant.
Elle lève un doigt, comme pour me dire de l'attendre.
Tout se passe si vite que je me demande si je n'ai pas rêvé. Nous n'avons jamais vraiment fait ça jusqu'ici. Nous saluer en public, au grand jour. Nous pouvons probablement le faire désormais, car nos projets de vengeance sont terminés. Toutefois, je sors le livre que je dois lire pour le cours d'anglais et le feuillette par souci de discrétion. Je la regarde écraser sa cigarette.
— Allez, Kat, rends-moi ma chemise !
Kat l'enfile par-dessus son sweat.
— J'ai envie de la porter. Je te promets de te la ramener lundi. En plus, elle aura mon odeur.

Il fait semblant d'être contrarié, mais je vois bien qu'il l'apprécie à la manière dont il cède rapidement et lui propose :
— Je te dépose chez toi ?
— Nan. Je préfère marcher. Je peux te taxer une autre clope ?
Sans attendre sa réponse, elle se sert dans son paquet et colle la cigarette derrière son oreille.
Puis, elle se dirige vers la piste cyclable.
Je range mon livre et m'avance doucement, mon vélo à la main, afin qu'elle puisse me rattraper. Il vaut probablement mieux que nous restions prudentes.
— Tu tiens le coup, Mary ? me demande-t-elle en se rapprochant.
Je soupire.
— Oui, ça peut aller.
— Est-ce que tu as beaucoup vu Reeve cette semaine ?
— Pas vraiment. (Je dégage mes cheveux derrière mes oreilles et fixe le sol.) Je... euh... j'ai entendu dire que Reeve risque de perdre sa bourse d'études à cause de sa blessure. (Dès que j'ai prononcé ces mots, je sens ma lèvre supérieure trembler.) C'est vrai ?

Kat hausse les épaules.
— Peut-être, mais peut-être pas, qui sait ? Ce n'est pas comme s'il avait réellement perdu une jambe. C'est juste une fracture, et pas grave, en plus. Mon frère s'est cassé le fémur une fois, pendant une course de motocross. Maintenant, sa jambe gauche mesure un centimètre de moins que la droite.
Sa voix est étonnamment calme. Je sens son regard s'attarder sur moi. On dirait qu'elle attend de voir si je vais m'effondrer. Je relève le menton et parviens à lui adresser un petit sourire, même si je sais que j'ai les yeux embués de larmes.
Cette fois-ci, c'est Kat qui se détourne. Elle s'écarte de la piste cyclable et arrache d'une branche basse une pleine poignée de feuilles qui commencent à virer au brun.
— Ça va aller, fais-moi confiance. Reeve va trouver une solution. Il y arrive toujours.
Je hoche la tête comme pour répondre « Oui, bien sûr ». Qu'est-ce que je pourrais dire de plus ? Je vais trouver des solutions, moi aussi. J'ai réussi à survivre à cette semaine. C'est déjà bien.
Je préfère changer de sujet.

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