Liste Trouble

29.

Ma vie ne tenait plus qu'à un fil. Et ce fil n'était pas bien difficile à trancher, malheureusement. Je boitais du pied gauche et la course n'avait jamais été mon fort, de toute manière. Pourtant je courais sans cesse, faisant de mon mieux pour éviter de me faire attraper par Conley. Ce-dernier se tenait à une dizaine de mètres derrière moi, mais si je n'accélérais pas, il réussirait facilement à me rattraper et là, ce serait bel et bien la fin.

« LUCY, ARRÊTE-TOI IMMÉDIATEMENT! » cria Conley.

Facile à dire pour un type qui ne veut que votre morte.
J'accélérais donc, malgré la douleur qui enflammait mon pied gauche. Soudain, les champs devinrent des maisons pour ne laisser place qu'à un petit village. Je tournai vers la gauche, piquant alors un sprinte dans le jardin d'une petite maison de campagne. Conley avait dû être surpris, mais je n'eus pas le temps de me retourner pour vérifier. Ce n'était pas le moment.
La peur. L'adrénaline. Ces deux choses me poussaient à continuer ma course. Mon cœur battait à une vitesse étonnante et mes cheveux fouettaient mon visage, poussés par le vent. C'était un véritable casse-tête de courir au travers de ce petit village. Le sol y était formé étrangement. Certaines fois, je manquais de peu de trébucher dans un trou, tandis que d'autres j'échappai de justesse à une bosse formée dans le gazon. C'était comme courir les yeux bandés. Jamais certaine de savoir ce qui m'attendait au prochain pas. J'aurais très bien pu m'adonner à une mort certaine et laisser Conley me tuer «proprement», comme il aimait si bien le dire. Mais, je n'étais pas ce genre de fille; je n'étais pas ce genre de personne. Si j'étais comme ça, j'aurais laisser tomber cette histoire de liste dès le début. Je me serais laisser intimider par cette école de fous et j'aurais laissé Becca diriger la partie. J'étais restée assez longtemps dans le silence pour savoir que se défendre était la meilleure des options.

« TU NE PERDS RIEN POUR ATTENDRE! » rugit Conley, s'étant légèrement fait distancé.

Je ne perds rien à essayer, non plus, pensai-je. Mon cellulaire se mit alors à vibrer bruyamment. Qui cela pouvait-il bien être? Peu importe. Cet appel aurait pu m'être d'une aide étonnante, malheureusement je n'avais pas une seule seconde pour y répondre. Je ne souhaitais pas perdre ma précieuse avance. Alors, je continuais de courir, mon énergie commençant à s'épuiser.
Tourner à droite. Prendre à gauche. Contourner la petite maison. Tourner à gauche. Puis, à droite. Éviter les bosses. Éviter les trous. Ne pas s'arrêter. Ni se retourner.
Voilà comment ça fonctionnait dans ma tête. Je n'avais pas le temps d'évaluer la situation de plus près. Tout ce que je savais c'était que mon - eh bien - petit ami voulait ma mort. J'ignorais comment cette course pouvait se terminer. Par la mort? Je ne pourrais pas courir éternellement. Et Conley, lui? Il était bien plus en forme que moi... Fichu club d'athlétisme! Et là, il m'étranglerait où je ne sais quoi. Beau programme.
Des images de Becca et moi écrivant  la liste me vinrent à l'esprit. Puis, ce fût des image de mon rendez-vous au restaurant avec Conley, peu après ma sortie d'hôpital qui me vinrent à l'esprit. Je me demandai ce qu'en aurait pensé la Lucy d'avant si elle avait su tout ce qui allait suivre. Elle aurait probablement eu peur. Ou bien elle aurait réalisé qu'être invisible peut être bénéfique, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Car, au beau milieu de cette merde qu'était devenue ma vie, j'aurais tout fait pour que mon nom soit inconnu de tous et que mes erreurs ne soient pas énormes au point d'être connues par tous les élèves de l'école. Il ne me restait que deux mois d'école avant d'obtenir mon diplôme d'études secondaire. Deux mois avant de me faire oublier. Deux mois avant les vacances d'été. Trois ou quatre mois avant mon entrée au Cégep. Là où on est supposé être mature et responsable. Enfin, il y a toujours des exceptions...
Mais, j'y étais presque.
Sans crier gare, je percutai de plein fouet une boîte aux lettres. Je sentis le bas de mon chandail se déchirer et une égratignure se former au niveau de ma hanche. Je grimaçai, sentant la plaie se mettre à saigner. Je titubai, avant de m'élancer à nouveau pour reprendre ma course.
Je virai à droite et tombai sur une femme âgée promenant son labrador. J'aurais pu m'arrêter et lui demander de l'aide. Têtue comme je l'étais, je continuai ma course. Ma respiration se faisait rapide et je sentais la fatigue et l'épuisement me monter à la tête. Mes chaussures étaient abîmées et mes pieds, complètement endoloris. La plaie que j'avais au niveau de la hanche me brûlait la peau et le sang qui s'en échappait ne faisait qu'augmenter ma douleur.