V

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Je me demande comment résonnent en toi nos conversations nocturnes, tant il est impossibles d'en discerner les traces, d'en distinguer les séquelles, je me demande si c'est moi qui ne sais pas dire ou toi qui ne sais pas entendre, je ne suis pas sûre que nous parlions la même langue.

(L'amour est très surestimé, B. Giraud)



•Allô ? ... Louis ?

•Oui.

•Tu, ça va mieux ? Jay m'a dit que je pouvais-

•Merci, je vais bien.

•...

•...

•Bon. Tant mieux... J'ai eu peur...

•T'as eu peur ? Pourquoi ?

•Mais, parce que tu t'es... Tu t'es évanoui dans mes bras putain ! J'avais jamais vu ça, j'ai cru que tu étais mort et tu répondais pas, je te secouais et tu avais l'air de ne plus respirer c'était... J'ai eu peur.

•... Je suis désolé Harry. Mais tu devrais pas avoir peur.

•Pourquoi, ça t'arrives souvent ?

•Non. Je voulais dire... Tu n'as pas à avoir peur pour moi.

•Et pourquoi pas ?

•... On se voit demain Harry.

•Non !

•Quoi ? Tu veux plus venir ?

•Non, enfin... Si. Bien sur que je veux venir. Je voulais dire, raccroche pas. J'ai besoin, j'ai eu peur... Je veux entendre ta voix. Encore un peu. Tu, tu veux bien ?

•... Ouais. Ok... Hm. Tu es bien rentré ?

•Oui, mais il pleuvait. J'étais trempé. Je suis dans le bain là.

•Dans le bain ? Tu téléphones dans le bain ?

•Ba... Ouais. Tu le fais pas ?

•J'ai jamais trouvé la façon dont Claude François est mort très attrayante.

•... Louis ! Je n'ai pas envie de m'élétrocuter ! Et je crains rien, c'est un téléphone sans fil.

•Si tu le dis.

•... Je peux te poser une question ?

•Hm.

•Si tu devais mourir, tu voudrais que ce soit comment ?

•... Je dois vraiment répondre ?

•Oui. J'aimerais bien.

•Je voudrais un truc net alors. Qui me ferais mal, pour que je me souvienne que c'était la sensation que me laissait la vie. Je voudrais du sang, pour que les gens aient peur en me découvrant. Je voudrais que tout le monde sache que je suis mort et qu'ils passent le reste de leur existence à se demander si c'est de leur faute. Et je le ferais dans ma chambre. Au milieu de mes dessins.

•... Tu te suiciderais ?

•Ouais. Je me trancherais la gorge.

*

Le lundi, j'étais en vacances. J'avais abandonné mon planning initial - constitué de grasses matinées, de joggings dans le parc et de rattrapages de séries - pour acheter une carte de transport et me rendre chez Louis... Tout les jours. A vrai dire, je ne lui avais même pas demandé son avis, mais j'étais incapable de rester sans sa présence pendant plus de 24H. J'avais essayé, le dimanche, et cela s'était avéré devenir une véritable torture. Le problème était que Louis m'obsédait. Son image était partout sous mes paupières lorsque je fermais les yeux. Je tournais au coin d'une rue, et j'avais l'impression de le voir marcher au loin. Alors je me mettais à courir, je l'appelais, et finissais par me rendre compte que ce n'était absolument pas lui. J'avais passé la soirée à regarder un film avec Gemma, et j'en avais totalement oublié jusqu'à l'intrigue principal. La discussion téléphonique que j'avais eu avec Louis se repassait en boucle dans ma tête. Il me faisait peur, et cette peur devenait obsession, je le voyais, un couteau sur la gorge, petit pantin brisé au milieu de sa chambre, son sang venant éclabousser les murs comme il aurait voulu éclabousser tout ces cons l'ayant insulté, lui ayant fait perdre toute confiance. Je le voyais et je voyais aussi cette étrange cicatrice sur son cou, qui avait l'air d'être là comme un mauvais présage. J'essayais de me rassurer, de me dire qu'il avait seulement beaucoup d'imagination, qu'il n'était pas suicidaire. Bien sur qu'il ne le ferait pas, jamais. Et puis j'étais là maintenant, j'étais prêt à l'aider, je voulais être celui qui le ferait à nouveau sourire, qui réchaufferait son coeur. Je voulais qu'il se mette à dessiner en jaune, qu'il oublie les flaques de sang et que Jay aussi, retrouve sa bonne humeur d'antan.

Voilà pourquoi je montais à nouveau les escaliers de chez Louis, à neuf heures du matin. C'était peut être tôt, mais je m'étais retourné dans mon lit pendant des heures et j'étais incapable d'y rester davantage, comme si laisser Louis seul un peu plus longtemps allait le conduire à commettre l'irréparable. C'est lui qui m'a ouvert la porte - pour la première fois ! - en t-shirt et jogging, les cheveux décoiffés. Il avait l'air de sortir du lit mais n'a fait aucun commentaire sur mon apparition matinale, m'ouvrant simplement en grand pour que je le suive dans le salon. Il s'est laissé tomber sur le canapé et j'ai fait de même, après avoir retiré mes bottines.

•Tu regardes les dessins animés ?

•Oui. Tu aimes ?

J'ai haussé les épaules avec un petit rire. Parce que, franchement, qui n'aime pas les dessins animés ? Louis a tendu la main vers moi et l'a passé dans mes cheveux en souriant. Il avait l'air de bonne humeur et ça m'a rendu heureux.

•Tu comptes venir ici tout les jours Harry ?

•Ba... Ouais. Est ce que ça te déranges ?

•Non. Mais je pensais pas être d'une si bonne compagnie...

•Tu l'es.

Il n'a rien répondu, se contentant d'ôter sa main de mes boucles avec une petite grimace. Il a attendu quelques secondes avant de se relever, me proposant un bol de cérales que j'ai accepté avec plaisir - j'étais parti sans déjeuner, dans ma hâte stupide. Pendant qu'il était dans la cuisine, j'ai changé de chaîne - l'heure de la pub était arrivé sur Gulli - et je suis resté en admiration sur un documentaire Arte, où l'on voyait d'énormes vagues se briser contre des récifs. Le spectacle était tellement saisissant que j'en ai oublié la présence de Louis, qui venait justement de revenir. Il a fallu qu'il s'assoit sur le canapé et me tende mon bol pour que je sursaute.

•Oh, merci...

•Tu regardes quoi ?

Il me jeta un de ses coups d'oeils que je qualifiais de mi suspicieux mi rieur - ils apparaissaient souvent quand j'étais maladroit ou que je rougissais.

•J'sais pas, je suis tombé dessus par hasard. C'est beau nan ?

•Très.

Il avait l'air rêveur soudain, les yeux fixés sur l'écran et ces vagues pixellisées, qui existaient pourtant bien quelque part, beaucoup plus sauvage et brute que dans ce salon minuscule. J'ai mangé mes céréales et pendant tout ce temps, Louis est resté silencieux. Je le regardais discrètement, cherchant à lire sur son visage mais celui ci restait de marbre. Je savais que dans ses yeux pourtant, se jouait actuellement une tempête semblable à celle du documentaire, où il agitait seul les souvenirs bouillonnants de son passé, et les faisait s'exploser contre les remparts acérés de son coeur. J'aurais voulu qu'il me parle alors, qu'il m'explique. J'aurais voulu pourvoir le rassurer, lui dire qu'il serait heureux un jour, que je ferais tout pour ça, pour lui.

Mais je me suis tu.

Peut être, au fond, avais je déjà deviné qu'il n'était plus temps de rien.



Hey Angel - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant