Chapitre 1 - Locataires d'arrière-saison

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Non, les vacanciers ne venaient d'ordinaire pas à Villeneuve à cette époque.

Du moins jusqu'à maintenant, se dit Stéphane en recevant le premier coup de téléphone : trois personnes, qui voyageaient ensemble, désiraient louer les trois suites pour une semaine complète à compter de samedi prochain !

Et, chose singulière, ces gens mettaient d'ores et déjà une option sur la location sans avoir visité. Ainsi, le soir-même, Stéphane voyait, sur internet, le montant du séjour intégralement crédité sur son compte.

Ils avaient donné comme nom « famille Branif ».


Mais Stéphane n'était pas au bout de ses surprises : dès le lendemain matin, le téléphone sonnait à nouveau et cette fois il s'agissait d'un homme qui, pour le compte de quatre personnes dont lui-même, désirait aussi louer les trois suites pour la même semaine !

Stéphane s'étant engagé auprès des Branif et ayant encaissé le montant du séjour, il refusa en expliquant que les trois appartements avaient été retenus hier et payés d'avance, ce qui eut l'air de contrarier fortement son interlocuteur, lequel s'exprimait de façon absolument remarquable.

L'homme lui dit alors de ne pas quitter. Il comprit que celui-ci avait partiellement mis sa main sur le combiné et qu'il parlait avec une femme, et entendit distinctement le nom de Branif. Puis l'homme reprit la conversation et proposa de payer la location le double du prix affiché en cette saison !

Stéphane était un homme de parole et ne pouvait se dédire auprès des Branif, même à ce prix incroyable, et il confirma poliment mais fermement son refus.

L'homme finit par raccrocher, apparemment très dépité.


Stéphane resta songeur.

Que signifiait ce subit intérêt pour sa maison, hors saison, au point de se voir proposer spontanément des tarifs de location aussi élevés ? Sans compter que l'homme qu'il venait d'avoir en ligne connaissait de toute évidence les Branif : il l'avait entendu en parler avec la femme qui se tenait près de lui pendant la conversation.

Bizarre, se dit-il.

Mais, après tout, si cela arrivait quelquefois qu'un couple lui loue une suite pendant des petites vacances hors saison, c'était inespéré de les louer toutes les trois pendant une semaine complète au mois d'octobre. Il n'allait pas s'en plaindre !

Il monta préparer les appartements.


Les Branif arrivèrent en voiture le lendemain matin.

Stéphane était dans la cuisine au rez-de-chaussée et, à travers les rideaux, les regarda discrètement descendre de la belle voiture avec laquelle ils étaient venus.

Il s'agissait d'un couple déjà d'un certain âge, probablement autour de la soixantaine ou même un peu plus, et d'une jeune femme aux cheveux longs très bruns qui pouvait avoir environ vingt-cinq ans.

Ils étaient tous les trois vêtus impeccablement et il se dégageait d'eux une impression d'aisance extraordinaire, de grande distinction.

Stéphane se dit qu'ils ressemblaient un peu à des gravures de mode, à ces mannequins au visage presque trop superbe dont les vêtements magnifiques ne font pas un seul faux pli, qui ont l'air naturellement décontracté, qu'on voit dans les magazines.

Il alla les accueillir.


La sensation était encore plus nette en les voyant de près : tout en eux paraissait parfait. Sans compter que la jeune femme était vraiment très belle.

- Bonjour, dit l'homme, je suis Eston Branif. Je vous présente Etrella dit-il en désignant de sa main ouverte la femme la plus âgée, ainsi que Tolie dit-il encore en montrant la jeune femme.

- Très heureux de faire votre connaissance, dit Stéphane en leur serrant la main, je suis Stéphane Malet, le propriétaire de la maison. Si vous voulez, nous allons prendre vos bagages et je vais vous montrer les appartements.

- Avec plaisir, dit M. Branif.

Il les aida à prendre les bagages et les fit monter à l'étage. Ils étaient ravis du confort des chambres et, surtout, de la belle vue dégagée qu'elles offraient sur la ville en contrebas de la colline.


Stéphane ne faisait pas de table d'hôte et il était convenu que les locataires feraient à manger dans leurs appartements.

Aussi, à peine installés, ceux-ci repartirent en ville faire quelques courses. Ils n'avaient pas dû juger utile de se charger exagérément en apportant des provisions, se dit Stéphane.


Ce dernier vivait seul.

C'était un beau brun aux yeux verts, assez athlétique et, à 34 ans, il avait connu nombre d'aventures sans lendemain lorsqu'il vivait à Lyon mais restait réticent à s'engager.

Et puis il y avait eu cette maison de Villeneuve qui l'avait accaparé un bon moment avant qu'il ne vienne s'y installer et désormais, il ne travaillait plus, vivotant du produit des locations et rencontrant peu de monde.

En fait, il se trouvait bien comme cela. Il aimait la solitude.

Ce qui était d'ailleurs préférable car il lisait énormément et écrivait un peu, en amateur.

Il prit un livre en attendant que ses locataires reviennent.


Lorsque les Branif rentrèrent, les bras chargés de sacs de provisions, il leur proposa de prendre l'apéritif, comme c'était la tradition en guise d'accueil.

Il vit que M. Branif hésitait, consultant les deux femmes du regard. Puis il finit par accepter au nom des trois mais précisa qu'ils ne buvaient pas d'alcools forts. A la limite un peu de vin blanc ferait parfaitement l'affaire.

Stéphane ouvrit une bonne bouteille de Bourgogne qu'ils semblèrent apprécier, même si chacun ne but pas plus d'un demi-verre à peine.

Eston et Etrella ne semblaient pas vivre ensemble et Tolie n'était pas leur fille. Ils ne paraissaient d'ailleurs pas la connaître plus que cela.

Ils expliquèrent qu'ils adoraient voyager beaucoup et un peu partout.

Leur manière de bouger et de s'exprimer, dans ce français si parfait, si châtié, continuait d'intriguer Stéphane.

Et ces drôles de prénoms !

Mais, surtout, leur discours lui parut sonner un peu faux : nulle mention de travail, d'occupation quelconque, ils étaient restés très évasifs sur le lieu où ils vivaient...

Et puis, se dit Stéphane, si Eston et Etrella n'étaient pas ensemble et qu'ils ne connaissaient quasiment pas Tolie, pourquoi voyageaient-ils ainsi tous ensemble ?

Cela lui fit penser à des inconnus se promenant en voyage organisé.

En tout cas ils avaient les moyens : trois suites pour trois personnes !

Il lui vint soudain à l'esprit qu'ils avaient peut-être loué tous les appartements de la maison pour ne pas être dérangés.

Il n'osa pas poser davantage de questions, de peur de paraître trop curieux ou discourtois.

D'autant plus qu'il les sentait volontairement distants, comme désireux de ne pas trop se dévoiler.

Surtout, Tolie, la jeune femme, qui ne disait quasiment rien. Il avait à peine entendu le son de sa voix.


Ils prirent rapidement congé et montèrent à l'étage.

Quelque temps plus tard, Stéphane sentit une odeur de cuisine exquise envahir la maison. Il n'avait jamais senti un parfum pareil. Ces effluves lui étaient totalement inconnues mais le faisaient saliver et lui donnèrent une irrésistible envie de manger, au point qu'il se rua dans sa cuisine pour se préparer quelque chose pour midi.




Les passagers de l'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant