Chapitre 3 - Fourberie

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Etrella descendait l'escalier. Sans doute était-elle en train de se préparer quand elle avait entendu la conversation.

- M. Branif, excusez-moi, mais je crois que vous me devez une explication, dit Stéphane : qui sont ces gens, qui êtes-vous, et pourquoi vous disputez-vous ma maison au point que cette Mme Morfer se propose de me la payer six fois son prix ?

Branif regarda Etrella et réfléchit un instant.

- Ecoutez, M. Malet, nous vous l'avons dit, nous voyageons beaucoup et il nous est arrivé souvent de croiser les Morfer. Comme nous, ils choisissent leur hébergement dans les meilleurs guides. Or votre maison est très bien cotée sur tous les plans et dispose en plus d'une vue exceptionnelle sur la ville. Nous l'avons réservée en premier et Calita Morfer ne supporte pas de ne pas obtenir ce qu'elle veut, voilà toute l'affaire.

- Mais, je ne comprends pas, que venez-vous, tout comme eux, faire spécialement à Villeneuve-lès-Avignon pendant une semaine en ce mois d'octobre ?

- Nous sommes en vacances et venons, entre autres choses, assister à la projection de films d'art et essai inconnus. Les autres raisons de notre visite sont nos affaires.

Stéphane n'insista pas. Cela sentait le mensonge à plein nez. Il n'apprendrait rien de plus de la part d'Eston ou d'Etrella.

Restait Tolie. Il sentait confusément que si elle n'en disait pas beaucoup, c'était justement parce qu'elle ne se sentait pas sûre de savoir rester discrète...

Une heure à peine s'était écoulée depuis le départ des Morfer lorsque Stéphane commença à sentir une odeur absolument insupportable se répandre dans la maison. Il n'aurait pu dire de quoi il s'agissait. Cela avait un indéniable relent chimique et était d'une âcreté épouvantable. L'odeur se diffusa très rapidement partout et il était totalement impossible d'en identifier la source tellement la densité en était importante.

Eston Branif dévala l'escalier quatre à quatre et demanda à Stéphane qui suffoquait et était sur le point de s'évanouir :

- Calita Morfer, dans quelles pièces de la maison est-elle allée exactement tout à l'heure ?

Stéphane ne pouvait pas répondre, il s'asphyxiait. Branif le saisit vigoureusement par le bras et, le soutenant sous une aisselle, le traîna hors de la maison.

Stéphane s'assit par terre.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demanda-t-il en bredouillant. C'est horrible.

- Oui, restez dehors pour l'instant, le temps que je le trouve.

- Mais trouver quoi ? balbutia-t-il encore.

Il éluda la question d'un geste vague.

- Calita Morfer, dans quelles pièces de la maison est-elle allée, réfléchissez, elle a pu le cacher n'importe où.

Stéphane essaya de se concentrer malgré l'affreuse migraine qui le gagnait.

- Elle et son mari sont juste passés dans l'entrée et dans le salon, dit-il enfin.

Branif entra dans la maison et se mit à fouiller l'entrée. Il passait ses mains systématiquement sous les rebords des meubles et inspecta soigneusement un petit guéridon puis, ne trouvant rien, s'attaqua au salon. Enfin il trouva ce qu'il cherchait.

Collé sous la table basse, il y avait un petit objet cubique qui semblait être chaud, à voir comment Branif le manipulait.

Il l'inspecta sur toutes les faces et, sur l'une d'elles, trouva un petit interrupteur qu'il éteignit.

L'odeur s'estompa très rapidement et disparut finalement en moins de deux ou trois minutes.

Il appela Stéphane.

- Qu'est-ce que c'était ? demanda celui-ci.

- Oh, rien d'important, un petit gadget dont Calita est friande. Je l'ai neutralisé.

- Mais, comment cela fonctionne-t-il ? demanda Stéphane en se tenant la tête.

- On le met en marche, il chauffe et une heure plus tard, il émet cette insupportable odeur. Personne ne peut vivre dans un endroit tant qu'il s'y trouve en fonctionnement. Si vous respiriez ses émanations pendant plusieurs heures, vous pourriez en mourir. Je vous conseille d'ailleurs d'aller vous changer et de mettre au lave-linge les vêtements que vous portez là et qui sont imprégnés, ce sera plus sûr. Et ce que je puis aussi vous recommander est de ne plus laisser entrer ici M. et Mme Morfer, sous peine qu'ils causent d'autres ennuis.

Stéphane fila changer de vêtements.

Les femmes étaient restées terrées dans leurs appartements, attendant sans doute qu'Eston n'éteigne l'engin infernal.

Quatre jours passèrent, sur le même rythme que le samedi : à midi les Branif cuisinaient et embaumaient la maison d'odeurs délicieuses et inconnues de Stéphane, ensuite ils semblaient se reposer ou jouer à quelque jeu dans l'appartement de l'un ou de l'autre puis en toute fin d'après-midi prenaient la voiture pour aller à Avignon au cinéma et au restaurant.

Invariablement ils discutaient du film et de ses acteurs en rentrant.

C'était le jeudi en fin d'après-midi et les Branif s'apprêtaient à sortir, comme de coutume.

Mais, à la surprise de Stéphane, seuls Eston et Etrella partirent avec la voiture.

Tolie était restée à la maison.

Un peu après 18 heures, il l'entendit qui fredonnait là-haut, puis elle descendit.

Elle était réellement d'une grande beauté. Il n'avait pas remarqué que ses yeux étaient aussi bleus.

- Vous n'êtes pas allée au cinéma avec eux ? demanda Stéphane pour engager la conversation.

- Non, ils allaient voir un film que j'ai déjà vu deux fois et puis j'étais fatiguée... Je me demandais si vous accepteriez de me donner un peu de vin blanc comme l'autre soir. Il était divin, il vous en reste un peu ?

- Je vous en donnerais avec plaisir, mais il n'y en a plus dans la bouteille, je l'ai finie. Je vais aller en chercher une autre à la cave, attendez-moi deux minutes, voulez-vous ?

Elle sourit et se remit à chantonner doucement. Il ne comprit pas les paroles de la chanson.

Stéphane revint avec un Meursault et ouvrit la bouteille. Il servit la jeune femme et s'apprêtait à ne lui en mettre qu'un fond, comme le premier jour où ils avaient tous trinqué à leur arrivée, mais elle ne retira pas son verre.

- Il est délicieux, dit-elle, encore meilleur que l'autre fois.

- Je suis content qu'il vous plaise, dit Stéphane.

Ils burent en silence puis elle le regarda et demanda :

- Vous dînez ici ce soir ?

- Oui, vous aussi je suppose ?

- Je me demandais si vous accepteriez de venir dîner dans mon appartement. J'ai largement de quoi manger pour deux. Vous pourriez apporter le vin...

Stéphane était aux anges.





Les passagers de l'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant