Chapitre 7 - Secousses

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Stéphane était abasourdi par tout ce qu'il venait d'apprendre.

Lui qui, à ses heures, écrivait des nouvelles de science-fiction, n'aurait jamais imaginé une histoire pareille.

Mais il lui fallait se rendre à l'évidence : l'apparence plus qu'étrange de ces gens, la chanson du XVIème siècle, les révélations concordantes de Tolie et de Branif, l'engin infernal inconnu qu'avait déposé Calita Morfer, les goûts de ces gens pour des films et des acteurs inconnus qui visiblement allaient devenir des stars un peu plus tard... c'était trop troublant.

Ce ne pouvait qu'être la vérité.

Il était un peu rassuré pour Tolie : privée de voyages pendant un temps, ce n'était pas une bien grande punition lui sembla-t-il.

La froideur et le détachement de ces gens par rapport à ce à quoi ils assistaient, surtout lorsqu'il s'agissait de catastrophes faisant des dizaines de milliers de victimes, le sidéraient : Tolie battait presque des mains quand elle lui avait annoncé sa présence à l'éruption de la Montagne Pelée en précisant soigneusement qu'il y avait eu 30000 victimes !

Ils n'étaient en fait que des spectateurs. De froids spectateurs. Ils venaient juste jouir des évènements, fussent-ils de véritables désastres, sans lever le petit doigt pour prévenir, essayer de limiter les morts, puis repartaient sans états d'âme vers un nouveau spectacle...

Ce futur anéantissement quasi-total de l'humanité par l'astéroïde était-il une excuse à ce comportement désabusé qu'ils affectaient ? D'ailleurs, quand allait-elle avoir lieu cette collision ? Des tas de gens avaient sûrement le temps de naître, de vivre, de mourir, avant qu'elle ne se produise.

Bien sûr, il y avait cette histoire de ne pas modifier leur passé pour ne pas impacter leur propre présent mais, dès lors que l'astéroïde tuerait ensuite presque tout le monde avant que ne se développe leur civilisation, quel pouvait être l'impact sur celle-ci s'ils sauvaient des vies ne serait-ce qu'en prévenant les gens des catastrophes imminentes ?


Au terme de ces réflexions, il décida d'écrire tout ce qu'il savait, au mépris de ce que lui avait demandé Eston Branif.

Ainsi, s'il lui arrivait malheur lors de « l'évènement » qui allait avoir lieu dans les heures à suivre et qu'il pressentait comme étant une catastrophe quelconque, au moins, il y aurait une chance que quelqu'un sache.

Croirait-on ce qu'il allait écrire ? Cela servirait-il à quoi que ce soit ? Il ne le savait pas. Mais il ne pouvait pas garder pour lui seul ce fabuleux secret.

Son imprimante était en panne et de toute façon, il préférait laisser un manuscrit. Cela, pensait-il, aurait plus d'authenticité.

Il prit du papier et un stylo et écrivit ce qu'il put.

Il lui avait semblé qu'il en savait tellement que cela prendrait des heures mais au final, cela tenait en trois pages.

C'était peu, mais à la fois bien suffisant pour que celui qui le trouve comprenne... à condition qu'on le croie.

Et puis, que diable, il n'était pas mort ! Il se trouvait même, selon ce que lui avait dit Branif, dans une des seules maisons qui seraient épargnées.


Il ne revit pas ses locataires de toute la fin de la journée. Ce soir-là, il ne sortirent pas, se préparant sans doute à « l'évènement ».

Après un repas léger, il s'installa devant la télévision. C'était peut-être par là qu'il apprendrait en direct ce qu'il allait se passer.

Il se cala sur une chaîne d'information en continu.

Mais rien n'arrivait.

Il finit par s'endormir dans le canapé, le téléviseur et la lampe d'appoint allumés.


Soudain, une secousse, une terrible secousse le réveilla en sursaut alors que la nuit était déjà bien avancée. Comme si une main géante avait empoigné le canapé, l'avait soulevé à 30 centimètres du sol en une fraction de seconde et l'avait aussitôt laissé retomber.

Des cadres se décrochèrent des murs en même temps. Les bibelots tombaient des meubles. Tout bougeait : la maison semblait secouée par une gigantesque vibration.

Un tremblement de terre !

C'était donc cela ! Ils étaient là pour assister à un tremblement de terre !


Il entendit des cris de joie à l'étage. De toute évidence, ses locataires ne s'étaient pas couchés et attendaient impatiemment l'heure du spectacle.

Stéphane se leva comme il put et monta l'escalier en titubant, se tenant des deux mains à la rampe le long du mur. Une applique murale se décrocha et tomba, se brisant dans un grand fracas de verre et de métal.


Il frappa à la porte d'Eston Branif, là d'où venaient les cris, mais dans le vacarme, on ne l'entendait pas. Il décida d'entrer, au mépris de toute politesse.

Eston Branif, Etrella et Tolie riaient comme des enfants, assis autour de la table et se cramponnant à leur chaise pour ne pas tomber sous les secousses. La scène était surréaliste.

- M. Malet, dit Branif d'une voix assez forte pour couvrir le vacarme, entrez, je vous en prie !

- Un tremblement de terre ! cria Stéphane.

- Oui, n'ayez pas peur, nous ne craignons rien, prenez une chaise et venez.


Stéphane prit une chaise qui tremblait le long du mur et se dirigea vers eux, marchant en zig zag comme un homme ivre.

Et brusquement, tout cessa, les secousses s'arrêtèrent aussi subitement qu'elles avaient débuté.

- Ca y est, c'est commencé, dit Eston Branif.

Il se leva, ouvrit un meuble bas, sortit quatre verres et une bouteille remplie d'un liquide rose.

Il posa les verres sur le meuble et servit quatre rasades dans les verres puis les posa devant chacun, sur la table.

- A notre voyage en Avignon, dit-il en levant son verre.

Ils burent tous, à l'exception de Stéphane.

- Mais, dit-il...

- Buvez, M. Malet, c'est la tradition, nous fêtons toujours le succès de nos voyages de cette façon.

- Quelle est cette boisson ?

- Goûtez, dit Etrella,

Il porta le verre sous son nez et sentit. Cela avait une odeur exquise. Il trempa ses lèvres dans le breuvage.

C'était incroyablement fruité, avec un arrière-goût un peu fort, comme de l'alcool.

Il ne put s'empêcher de vider le verre.


Branif et les deux femmes se mirent à rire.

- Doucement, M. Malet, il n'y a pas d'alcool dans cette boisson mais l'effet en est comparable... en plus fort. Quand on n'y est pas habitué, il ne faut pas en abuser.



Les passagers de l'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant