Chapitre 8 - La vérité

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Stéphane se leva et regarda par la fenêtre. Des milliers de lumières étaient allumées et l'on devinait quelques dégâts aux alentours. Des sirènes de voitures de police ou de secours commençaient à retentir un peu partout. Sur les toits, les sirènes d'alarme de la ville hurlaient elles-aussi sans discontinuer.

- Ainsi, c'était cela, dit-il, vous êtes venus assister à ce tremblement de terre ! Ca a secoué un bon coup mais il n'y a tout de même pas de quoi constituer un spectacle inoubliable, dit-il.

- Attendez, M. Malet, ce n'est pas fini, dit Branif d'un ton doucereux.

- Comment cela, il va y avoir des secousses de réplique ?

- Oui, comme toujours dans les heures et les jours suivants, mais ce n'est pas important : celle que nous venons de ressentir a suffi. Si elle n'a pas paru d'une extrême violence, c'est parce que nous sommes ici assez éloignés de l'épicentre.

- Elle a suffi à quoi ? demanda Stéphane, inquiet.

- A déclencher le phénomène que nous sommes venus contempler, M. Malet. L'épicentre se trouve à moins de 2 kilomètres du barrage de Serre-Poncon, vous connaissez bien sûr cette retenue d'eau...


Stéphane connaissait, évidemment : le barrage de Serre-Ponçon situé bien au nord-est d'ici près d'Embrun, le deuxième plus grand lac artificiel d'Europe de par sa capacité, un ouvrage d'une hauteur de plus de 120 mètres avec une retenue de 1200 millions de mètres cubes d'eau, une surface de retenue de 29 kilomètres carrés sur la Durance, une solidité surdimensionnée pour pouvoir résister même à un tremblement de terre de magnitude 7 ou à des crues exceptionnelles.

- Le séisme que nous venons de ressentir était d'une magnitude de 8 à son centre, continua Eston Branif, soit un tremblement de terre majeur. L'ouvrage de Serre-Ponçon vient de se rompre il y a exactement... il regarda l'heure ... 4 minutes.


Stéphane devint blême.

- Vous... vous êtes sérieux ? Nous... nous allons être touchés jusqu'ici ? balbutia-t-il.

- Oui, une onde de plusieurs dizaines de mètres de hauteur est actuellement en train de s'engouffrer dans la vallée de la Durance. Elle va dévaler dans les Bouches du Rhône, touchant toute la basse vallée du Rhône sans compter les reflux dans les vallées adjacentes. Une vague de près d'une quinzaine de mètres va submerger Avignon et Villeneuve, juste à nos pieds, dans un peu plus de deux heures, ravageant tout sur son passage, sauf votre maison et ce qui se trouve en amont de cette colline. La Camargue sera ensuite submergée, avant que l'eau ne finisse par atteindre la Méditerranée. Nous avons encore le temps.


Il resservit du breuvage rose.

- C'est une catastrophe, dit Stéphane, atterré. Il va y avoir des dizaines de milliers de victimes !

- Oui, plusieurs milliers, d'abord dans les communes riveraines du barrage qui n'auront pas le temps de réagir puis, dans une moindre mesure, dans celles situées plus en aval car malheureusement le phénomène se produit de nuit, rendant l'évacuation plus difficile. Mais concernant votre région, la grande majorité de la population a le temps d'être évacuée d'ici à ce que l'onde n'arrive.


Ils burent à nouveau le liquide rose au goût merveilleux. Stéphane ne put s'empêcher de vider son verre d'un trait.

Branif donna tout un tas de détails techniques sur les effets de la rupture du barrage, avec la précision et le détachement d'un laborantin qui décrit les résultats d'une expérience réalisée sur des souris blanches.

Même avec les fenêtres fermées, on entendait cette fois un gigantesque vacarme dehors, avec toutes ces sirènes hurlant partout, et un énorme embouteillage de véhicules semblait se former en ville : la population, prévenue sans doute de l'arrivée du tsunami, essayait de fuir vers le nord le plus vite possible.

Au loin, à Avignon, c'était pareil.


Au bout d'un moment, alors que le jour commençait à se lever, ils entendirent une sorte de grondement.

- Tenons-nous prêts, dit Branif, elle arrive !


Ils se précipitèrent aux fenêtres qu'ils ouvrirent.

Eston et Tolie tenaient des sortes de petits appareils bizarres qui devaient être des caméras d'un modèle inconnu.

Stéphane, lui, n'avait pas le coeur à filmer ou à prendre des photos et, surtout, il commençait à se sentir mal, saisi d'une insidieuse nausée.

- Nous sommes aux premières loges ! cria Etrella. Je ne sais pas où ont pu se nicher les Morfer et leur aréopage.


Soudain, l'immense vague grondante fit son apparition légèrement en contrebas de la colline où ils se trouvaient perchés, emportant tout sur son passage avec une rapidité incroyable. Elle montait presque à hauteur de la cour de la maison.

La scène était terrifiante. On voyait en bas, dans les rues de la ville, des véhicules emportés comme de simples jouets et certains immeubles tomber tels des châteaux de cartes sous le raz de marée sale charriant des tonnes de matériaux de toutes sortes.

L'eau jaillissait en tourbillons et éclaboussait à des dizaines de mètres de haut en rencontrant les obstacles. Rien ne pouvait arrêter ce flot d'une puissance titanesque.

Les habitants, pour la plupart, avaient pu fuir ainsi que l'avait prévu Branif, sans doute réveillés par la secousse et toutes les sirènes puis informés par les radios et la télévision.

Mais des inconscients comme il y en a toujours n'avaient sans doute pas cru à la menace, s'imaginant pouvoir braver le danger pour protéger leurs biens, et le payaient maintenant de leur vie, emportés comme des fétus de paille et disparaissant en un instant dans le flot monstrueux.

Eston Branif et Tolie filmaient sans discontinuer ce spectacle surréaliste.

Cela dura peu de temps, peut-être deux ou trois minutes sembla-t-il à Stéphane.


Puis le fracas cessa. La vague était désormais partie, laissant sur son passage une vision de désolation. Tout avait été ravagé.

Les sirènes s'étaient tues, faisant place à un pesant silence qui n'était troublé que par le bruit d'innombrables ruissellements et cascades sortant de partout.

Eston, Etrella et Tolie commentaient abondamment ce qu'ils avaient vu et enregistré dans leurs appareils. Ils paraissaient absolument ravis.


Stéphane, lui, se sentait cette fois franchement mal.

- Cela n'a pas l'air d'aller, M. Malet, lui dit Branif. Je vous avais prévenu, il faut se méfier avec notre boisson lorsqu'on n'y est pas accoutumé. Tolie va vous donner quelque chose, étendez-vous dans le canapé.



Les passagers de l'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant