En milieu de matinée ce vendredi matin, il entendit des éclats de voix à l'étage. Il y avait probablement de l'explication dans l'air entre Tolie et Branif.
Quel dommage qu'ils soient rentrés un peu trop tôt la veille au soir : au point où elle en était, Tolie lui en aurait sûrement dit beaucoup plus, et notamment ce qu'ils étaient venus voir à Villeneuve-lès-Avignon en cet automne.
Il était en train de se préparer du thé lorsque M. Branif frappa très légèrement à la porte ouverte de la cuisine. Stéphane lui dit d'entrer et lui demanda s'il voulait du thé.
Eston Branif accepta et s'assit devant la table sans prononcer un mot.
Lorsque Stéphane l'eut servi, il dit enfin :
- M. Malet, je crois que vous êtes un homme intelligent et c'est la raison pour laquelle je suis venu vous parler. Nous n'allons pas jouer aux devinettes ni au poker menteur tous les deux, n'est-ce-pas ?
- Euh non, dit Stéphane. Que voulez-vous dire ?
- Je voudrais savoir précisément ce que vous a dit Tolie hier soir. Que savez-vous de la situation ?
- Rien de précis, mentit Stéphane. De toute façon, que vous importe de savoir puisque vous avez l'intention de lui créer des ennuis, si j'ai bien saisi le sens de vos propos d'hier ?
- Vous n'avez pas compris, M. Malet, ce n'est pas du sort de Tolie dont je viens vous parler, mais du vôtre.
Stéphane saisit immédiatement la menace.
Il pesa les risques : quel était le pouvoir de cet homme ? Il ne semblait pas plaisanter et venait du futur.
Il décida de jouer franc-jeu. De toute manière, Branif savait visiblement que Tolie avait trop parlé...
- Tolie m'a avoué que vous étiez des visiteurs temporels appartenant à une civilisation postérieure à la mienne dont les loisirs constituent l'activité essentielle. Elle m'a dit que vous voyagiez en arrière dans le temps pour assister à des évènements marquants. Ce n'est pas de sa faute, c'est moi qui l'ai fait boire exprès afin d'en savoir plus sur vous car je vous ai trouvé étranges dès votre arrivée, tout comme les Morfer.
- Merci de votre franchise. Savez-vous pourquoi nous sommes venus ici ?
- Non, elle ne me l'a pas dit.
Eston Branif sembla réfléchir intensément. Il but une gorgée de son thé et dit :
- Au point où nous en sommes, je vais vous dire la vérité, M. Malet, cela évitera que vous alliez chercher en tous sens en attirant l'attention.
Stéphane essaya de dissimuler son impatience : Branif allait tout lui dire !
- Ainsi que vous l'a révélé Tolie, nous appartenons à une civilisation qui vit à une époque postérieure à la vôtre et a trouvé le moyen de voyager en arrière dans le temps. Nous sommes donc, chez vous, des visiteurs, des passagers éphémères. L'humanité telle que vous la connaissez aujourd'hui va, dans un futur assez proche, être presque anéantie : un astéroïde d'une taille d'environ 10 kilomètres de diamètre va percuter la Terre et, non seulement les hommes ne pourront pas éviter cette collision dont le point d'impact sera la ville de San Francisco, alors même qu'ils la verront arriver, mais ils seront incapables d'enrayer une maladie apportée par l'astéroïde que vos actuels américains surnommeront The Blue Death. Cette maladie décimera plus de six milliards et demi d'êtres humains. Nous sommes les descendants des rescapés.
Stéphane était livide.
- Mais, cet astéroïde, l'humanité décimée, vous êtes sûr ?
Branif le regarda en souriant vaguement, d'un air qui ressemblait à de la commisération :
- M. Malet, j'ai eu la chance, au cours de l'un de mes nombreux voyages, d'assister à la chute de l'astéroïde... Etrella aussi, d'ailleurs. Je l'ai vu de mes yeux, vous comprenez ?
Stéphane avala péniblement sa salive.
- Je suppose donc que vous n'êtes pas venus ici pour assister à une peccadille, balbutia-t-il.
- Eh bien ce n'est pas le voyage du siècle, si je puis me permettre ce jeu de mots quelque peu discutable, mais tout de même. Il va se produire la nuit prochaine un événement climatique, ou plutôt terrestre devrais-je dire, qui entraînera des conséquences considérables. A votre époque et à votre échelle bien sûr. Nous sommes venus voir ce phénomène et repartirons ensuite. Nous avons un autre voyage la semaine prochaine.
- Mais, pourquoi ma maison ?
- Vous êtes décidément très curieux, M. Malet... Parce que votre maison est une des seules, sinon la seule puis-je dire, qui, tout en étant convenablement aménagée pour nous recevoir, sera totalement épargnée par le phénomène.
- Je suppose que vous ne voulez pas me préciser ce que vous appelez « phénomène » ?
- Vous supposez bien, dit Branif. Vous le verrez comme nous. Ce que je puis vous recommander tient en trois points : d'une part ne parlez à personne de ce que vous savez, d'autre part n'essayez surtout pas d'intervenir en quoi que ce soit, et enfin ne quittez sous aucun prétexte cette maison dans la nuit prochaine ni dans la matinée qui suivra, c'est-à-dire demain matin. L'après-midi, nous serons partis. Si vous parlez ensuite, je m'en moque et je pense d'ailleurs que personne ne vous croira.
Eston Branif finit son thé et se leva.
- Excusez-moi, dit Stéphane. Pourrais-je vous poser deux dernières questions ?
Branif l'interrogea du regard.
- Lorsque vous assistez à des cataclysmes climatiques qui vont faire des dizaines de milliers de victimes, vous pourriez intervenir, prévenir, sauver des vies...
- Cela est totalement exclu, M. Malet : en modifiant le passé, nous modifierions notre présent. De plus, si vous réfléchissez, compte tenu de ce qu'il va se produire avec l'astéroïde, cela aurait-t-il vraiment de l'importance de sauver quelques vies ? Quelle est votre seconde question ?
- Que va-t-il arriver à Tolie ?
- En tant que responsable de groupe pour ce voyage, je suis tenu de référer de son manquement au règlement. Elle risque d'être interdite de voyages pendant une durée qu'il ne m'appartient pas de fixer. Est-ce tout ?
Sans attendre la réponse, il quitta la pièce et remonta à l'étage.
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Les passagers de l'automne
Short StoryStéphane voit, de façon inexplicable, ses chambres d'hôtes prises d'assaut alors que l'automne est déjà bien avancé, synonyme de morte saison. Les locataires qu'il accueille lui paraissent étranges. D'où viennent-ils ? Que sont-ils venus faire ici à...