Les passagers de l'automne

Chapitre 5 - Précisions supplémentaires

- Et quelle est cette exposition à Paris, à laquelle tu dois te rendre la semaine prochaine ? demanda Stéphane qui croyait rêver.

- L'exposition universelle, celle où l'on a installé la Tour Eiffel.

- Je vois, dit-il. L'exposition de 1889.

- Oui, c'est cela, nous irons avec Eston et Etrella cette fois encore. Je t'en ai assez dit, je n'aurais pas dû, ne me pose plus de questions.

- Mais, Tolie, mets-toi à ma place ! Qui êtes-vous, d'où venez-vous ? D'une autre planète ?

Elle éclata de rire et Stéphane se rendit compte de l'énormité de cette dernière question. Mais ce qu'il venait de comprendre et d'entendre de sa bouche même était tellement incroyable qu'il ne pouvait plus raisonner de façon cohérente.

Tolie se resservait du champagne. Il se rapprocha d'elle et la prit par les épaules, la regardant droit dans les yeux.

- Tolie, dis-moi la vérité. Tu ne peux pas me laisser dans cette semi-ignorance, c'est à devenir fou.

- Ce sera encore pire si je te le dis.

Elle ne soutint pas son regard. Obsédé par ce qu'il entendait, il devait avoir des yeux de fou.

Prenant son verre d'un air pensif, elle dit alors :

- Tu ne dois parler à personne de cela...

- C'est promis, je te le jure, dit Stéphane. D'où venez-vous ? Vous avez le pouvoir de voyager dans le temps ?

- Oui. Nous vivons sur cette terre, à une époque un peu postérieure à la tienne. Notre civilisation a énormément changé par rapport à la société dans laquelle tu vis : elle est entièrement basée sur les loisirs. Nous sommes infiniment moins nombreux que vous l'êtes actuellement car il y a eu un ... problème. Seule une toute petite partie de la population travaille, mais l'immense majorité consacre son temps à se distraire. Nous avons trouvé le moyen de voyager en arrière dans le temps et l'activité la plus prisée est d'aller assister à des évènements marquants qui ont eu lieu dans notre passé.

Stéphane n'en croyait pas ses oreilles. Il ne savait même plus quoi dire.

Tolie le fixait, semblant évaluer l'effet que pouvait avoir sur lui une telle révélation.

- Mais, finit-il par balbutier, vous êtes nombreux ? Je veux dire ici, par exemple, ou la semaine dernière à Londres ?

- Non, les places sont limitées. On se présélectionne sur une sorte de planing pour un événement précis et un choix est opéré ensuite. Chacun ne va pas librement où il veut. A Londres, pour le mariage, nous étions une cinquantaine. Mais il y a tellement d'évènements à voir que cela laisse un grand choix !

- Tu as assisté au mariage d'Henri VIII avec Anne Boleyn, je n'en reviens pas.

- Ah ah, ce n'est pas tout, lui dit-elle, j'ai aussi assisté au couronnement de Charlemagne, le 25 décembre 800 à Rome, à l'éruption volcanique de la Montagne Pelée en Martinique le 8 mai 1902 qui a fait 30000 victimes, à la bataille d'Austerlitz le 2 décembre 1805, et puis aussi...

Elle s'interrompit.

Ils n'avaient pas entendu rentrer Eston et Etrella qui frappèrent à la porte et pénétrèrent aussitôt dans la pièce.

Eston jeta un coup d'oeil circulaire, vit la table, les bouteilles, Tolie et Stéphane dans le canapé avec le champagne.

Heureusement, il n'avait pas dû pouvoir entendre ce que venait de révéler Tolie.

Il la regarda néanmoins d'un air courroucé et lui dit sévèrement :

- Tolie, Vous avez enfreint les règles.

- Mais, dit la jeune femme, je n'ai fait que dîner avec notre hôte.

- Vous savez comme moi que cela est strictement interdit. De plus, je vois que vous avez bu de l'alcool en quantité, ce qui est également prohibé. Je vous avertis que je serai obligé d'en référer, dit-il. Vous savez ce que vous risquez...

Il regarda Stéphane et dit :

- M. Malet, je ne sais pas ce que cette jeune écervelée a pu vous dire, mais je vous demande de n'y accorder aucun crédit : elle ne supporte pas l'alcool et, lorsqu'elle se trouve sous son emprise, elle raconte n'importe quoi. Je vais vous demander de quitter cet appartement immédiatement.

Stéphane s'esquiva.

Tolie allait de toute évidence avoir des ennuis, un peu à cause de lui en quelque sorte, mais il ne pouvait passer à côté d'une chose pareille : des voyageurs temporels !

Il ne croyait pas un mot de ce que venait de débiter Eston Branif, sauf en ce qui concernait la propension de Tolie à avoir la langue un peu longue quand elle buvait de l'alcool.

Mais elle n'avait pas menti, il en était certain.

Ainsi ces gens, à partir de l'époque à laquelle ils vivaient, voyageaient dans le temps pour leur plaisir ! C'était incroyable, bien au-delà de ce que son esprit rationnel pouvait admettre !

Comment arrivaient-ils ? Comment repartaient-ils ?

Apparemment, d'après les exemples que lui avait donnés Tolie parmi tout ce à quoi elle avait assisté, ils se rendaient à des évènements aussi bien d'ordre historique que d'ordre naturel.

Mais alors...

Mais alors, qu'étaient-ils venus voir ici de si important ? De tellement important qu'ils se faisaient la guéguerre entre eux pour se loger.

Et pourquoi précisément se loger chez lui, comme ils semblaient y tenir absolument, alors qu'il y avait quantité d'autres gîtes ou chambres d'hôtels en ville ?

Il ne croyait pas à cette histoire de cinéma d'art et essais. On ne voyage pas dans le temps pour venir voir des films : il ne s'agissait là que d'un petit plus qu'ils avaient trouvé pour passer le temps avant le véritable évènement.

Il ralluma son note-book et essaya de trouver désespérément ce qui, d'ici samedi, pourrait bien avoir attiré ces incroyables spectateurs, ces passagers de l'automne.

En vain. Il n'y avait rien de véritablement notable à l'horizon...

Et puis, quel était ce « problème » qui avait fait que la civilisation de Tolie et des Branif soit, comme elle disait « infiniment moins nombreuse » que l'humanité actuelle ? Qu'était-il arrivé ? Une immense guerre mondiale ? Une gigantesque pandémie ? Un cataclysme ?

Tout se mélangeait dans sa tête.

Il décida d'aller se coucher et prit un somnifère, sans quoi il n'aurait pas fermé l'oeil de la nuit.