On(d)e (de) chot

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À Gina de Coquerie, ma jument,
qui m'offrait de son souffle un poumon me permettant de respirer à nouveau,
que j'ai laissé fondre dans l'air, en essayant, en vain,
de mes maigres forces d'humain perdu,
de ramener à la vie.


       Dysnomia ramifia des extensions épithéliales dans la fourrure de la bête. Celle ci la regardait, haletante, les yeux si exorbités qu'un cercle blanc se dessinait autour de ses prunelles couleur flamme.

Je ne te veux pas de mal.

Une buée lactée de panique s'échappa de ses narines écartées et s'estompa dans l'air froid. Dysnomia sentait les muscles pétrifiés de la bête rouler sous son pelage, cependant incapables de supporter son lourd corps. Elle laissa les extensions plonger à travers la fourrure et toucher le tégument de la femelle.

Protégée. Sécurité.

Le coeur de Dysnomia se serra face au regard paniqué de l'être allongé sous elle, sur son flanc, la regardant d'un oeil dans lequel les flammes dansaient de peur, dans lesquelles les couleurs bougeaient. Elle ravala un sanglot douloureux avant de continuer à établir le contact.

J'ai besoin de toi.

Sachant parfaitement que les barrières spécistes ne s'estomperaient pas afin de leur offrir un langage commun, elle espérait cependant que la bête comprendrait, à travers sa pensée humaine, les ondes qu'elle lui envoyait. Son peuple avait refusé de lui apprendre le langage universel. Aucune réponse positive ne venait de la part de la bête, elle gigotait, prise au piège, apeurée, grattant de ses sabots la terre humidifiée par les pluies récentes. Elle ne la comprenait pas, et réagissait en proie, essayant de déguerpir, sans succès : le venin sapait ses forces, peu à peu.
Dysnomia demeurait apeurée par le fait que son Clan la retrouve en train d'essayer de communiquer avec un Agaros, grand être couvert de fourrure majestueuse, et,  dans le cas de la capture de Dysnomia, de la couleur d'écorce des arbres l'entourant. Cette bête pouvait facilement se fondre dans le paysage alentour, sa crinière noire se fondant tout autant dans l'environnement. Les membres arrêtèrent de balayer le sol de la forêt, et l'Agaros lâcha un souffle rauque et profond, dévissant son regard des yeux de Dysnomia. Elle poussa une longue expiration d'exaspération. Il ne s'était pas sous mit. Il s'était sur mit, décidant de dédaigner ouvertement Dysnomia et de rester allongé, penaud, endolori par le venin puissant des flèches de la guerrière.
Elle laissa ses extensions desquamer puis se leva en lâchant un regard courroucé au corps de la bête gigantesque qui avait écrasé sans pitié les fougères alentours, épousant les formes de son corps. Son coeur vert battait lentement sa peau, la faisant vibrer et scintiller sous l'effet des pulsions régulières. L'incarnation d'un arbre sous la forme animale était l'Agaros, cette puissance pulsante au rythme de la vie des plantae, au rythme le plus éloigné de l'homme, des Clans. Ces animaux étaient chassés par les plus audacieux guerriers, leur courage n'étant qu'illusion alimentée par l'égo surdimensionné de ceux ci, souhaitant sans relâche prouver leur place et leur rôle au sein du Clan, en ramenant le trophée, le coeur chlorophyllien, continuant de battre, continuant sans relâche jusqu'à ce qu'il lâche prise quelques heures après la mort du cerveau. Ceci faisait la puissance de l'Agaros : uniquement une atteinte à son encéphale l'emmenait dans les échos étouffés.
Un bruissement des feuilles arracha violemment Dysnomia de ses pensées moroses: l'animal bougeait doucement, les yeux allumés cependant de flammes qui semblaient s'éteindre. Des cercles couleur or mouvaient dans une dimension temporelle ralentie à l'intérieur de ses prunelles. Dysnomia, fascinée par la beauté et la pureté de l'animal, s'accroupit, retenant son souffle, sachant que le venin ne faisait effet durant qu'un laps de temps très limité. L'Agaros reprenait des forces. Elle ne saurait expliquer pourquoi, en le voyant, elle avait brandi son arc d'if, mit à la hâte son unique flèche venimeuse et tira au milieu des feuilles, visant un bout de pelage vu par chance. L'Agaros était rare, mais Dysnomia avait la compassion plus grande que l'égo, dissimulé derrière celle ci. Elle sentait le besoin, le besoin - humain, peut être - de s'émerveiller, de toucher, un être magnifiquement intouchable. Un être qui est. La rouquine passa une fois de plus sa main couleur perle dans la fourrure de sa victime, ramifiant encore sa peau autour de celle de l'animal afin de le sentir, de décrypter, de s'unir, de respirer ensemble à travers une barrière si épaisse mais si fine à la fois. Elle poussa un soupir attristé, réabsorba les ramifications, et se leva avant de se diriger vers son camp, lâchant un dernier regard en arrière vers l'Agaros reprenant des forces.

Plonger dans l'oubli les pensées pessimistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant