Jeudi 19 novembre

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Chère Sophie,

Il ne s'est rien passé de spécial aujourd'hui. J'ai fait ce qu'on m'a dit de faire en silence.

Il est 3h du matin et nous sommes donc en réalité vendredi. Cette nuit je suis sortie. J'avais besoin de ressentir quelque chose comme quand Samuel m'a souri ou qu'il m'attendait à la sortie. Je voulais sentir mon cœur battre, me sentir vivante. Alors j'ai ouvert ma fenêtre et suis sortie. Je ressentais la peur d'être entendu par mes parents envahir mon corps pendant que je traversais le jardin. Quand j'ai senti le bitume froid sous mes pieds tout est redescendu. Je me suis alors mise à marcher dans cette rue que je traverse depuis que je suis née en ayant l'impression de la découvrir. Toutes ses formes, ses ombres que je vois toujours en plein jour semblaient prendre une nouvelle apparence à la lumière des lampadaires. Un moment, j'ai eu l'impression d'entendre un bruit, arrêtant ma lente progression. Je ne bougeais plus, attentive. Je sentais le vent frais mordre mes bras nus et la chair de poule prendre assaut de tout mon corps. Après être restée immobile un moment, j'ai recommencé à avancer en regardant autour de moi. Je ne savais pas vraiment où j'allais et je m'en moquais. Au détour d'une rue, j'ai dû à nouveau m'arrêter. En face de moi, au bout de la route, se trouvait une silhouette. Un homme assez enveloppé, grand et légèrement courbé. Il n'avait pas l'air de m'avoir vu. Je suis restée face à lui, à le regarder avancer en chancelant, lentement. Puis il a levé la tête et là, il m'a vu. En essayant d'accélérer le pas, je crois qu'il a souri mais je n'en suis pas sûre. Il me fixait. Un frisson a parcouru mon corps et je suis parti en courant. Je sentais à peine le bitume frapper mes pieds et l'air frais brulait mes poumons. Quand je suis arrivée devant chez moi, je me suis accroupie, essoufflée. Je sentais tout. Ma gorge, mes jambes, mon ventre, mes pieds, mes bras, mon cœur... Tout était douloureux. Tout était là. Je suis ensuite retournée calmement dans ma chambre avant de m'allonger sur mon lit et d'écrire.

J'étais en T-shirt et en short, dehors dans la nuit, seule et je ne ressentais rien. Je ne peux pas m'empêcher de me demander jusqu'où je serais allée si je n'avais pas croisé cet homme.



Chère Sophie...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant