Chapitre 2. Un Amour d'Hortense

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Presque immédiatement, le garçon baissa les yeux. Hortense en revanche ne se priva pas pour continuer de le détailler sans aucune gêne. Grand, très musclé, les cheveux bruns et les yeux de la même couleur... il n'avait pas grand chose en commun avec les légumes pâles qui composaient la gente masculine de la classe.

Leurs mains se touchèrent lors de l'échange du compas, et Hortense lu le trouble dans les yeux de son voisin. Il ne répondit pas à son merci et se rassit calmement après avoir fini de l'aider. Mais la jeune fille, bavarde à en mourir, ne tolérait pas le silence. Aussi se mit-elle alors à noyer sous un flot de parole incessant son pauvre voisin qui s'en étrangla presque.

Non loin de là, deux autres jeunes filles, fidèles à leur poste, observaient leur camarade. La plus petite s'agita sur sa chaise et lança à sa voisine d'une voix amusée :

- 'Tain mais t'as vu ce pauvre Musclor ?

- Clémentin ? Oui ! Enfin ce qu'il en reste si j'ose dire.

- Ça fait quoi, vingt minutes qu'ils sont à côté ?

- Mouais. À ce rythme là il ne va pas finir l'année...

- C'est qu'on la connaît la mère Hortense ! Elle va nous l'achever. Il manque d'entraînement psychologique ce Cléminou.

- Cléminou ? Ouais bon ok, on va peut être demander à Ortie de se calmer un p-

- Hortense ! tonna soudain une voix grave. C'est quand que tu te tais ?

Le professeur de mathématiques, Patrick, dardait un regard ennuyé sur la jeune fille. Le silence s'installa dans la classe, et fut interrompu quand l'autre répondit :

- Ben heu... maintenant...

Avec un énième soupir, Patrick se retourna. Il continua son cours avec la même vigueur, bien qu'ayant perdu l'attention des deux tiers de la classe. Hortense attendit quelques instants, puis reprit joyeusement son monologue. Elle continua à déblatérer jusqu'à la sonnerie. C'était un lundi, ce qui signifiait qu'après les maths, l'heure suivante était des sciences physiques.

Sciences physiques.

À la seule mention de ces mots, Hortense se mit à blêmir. Puis rougir. Puis transpirer. Et son coeur battait, battait bien fort dans sa poitrine. Qui disait sciences physiques disait également "homme viril", le professeur.

La quarantaine, les cheveux grisonnants découvrant une calvitie avancée, il se tenait là. À quelques mètres à peine d'Hortense. Sa silhouette svelte et élancée se dirigea d'un pas pressé vers le bureau, ignorant les gémissements de ceux qui n'avaient pas pu passer aux casiers. Hortense, elle, jubilait intérieurement.  Complice, elle lança un regard vers une jeune fille brune à sa gauche, de l'autre côté de la rangée. La même d'ailleurs que celle qui murmurait sur Hortense tout à l'heure. Elle lui répondit en pouffant, et dit quelques mots à une jeune fille blonde assise à ses côtés.

Valentine, la brune, était plutôt petite et rondelette. Ses grands yeux bleus ne cessaient de papillonner partout autour d'elle comme une conne, et sa bouche était constamment ouverte à dire des bêtises. Comme son opposé seyait à ses côtés une grande fille aux cheveux ondulés, blonds presque châtains. Ses yeux noisettes reposaient derrière ses lunettes, et lui conféraient un air calme, presque blasé de la vie. En revanche, il suffisait de peu pour que celle-ci, nommée Marie, devienne littéralement folle et se mette à dire des choses plus stupides encore que sa voisine. À elles deux, elles enchaînaient délires sur délires.

Bref. Revenons à nos moutons.

Passionnément, presque amoureusement, l'homme viril commença son cours. Il se saisit de la craie et se mit à détailler un calcul, qui fit perdre le fil au peu d'élèves qui suivaient le cours. Sauf à Hortense. Chose rare, mais pas inhabituelle à ce cours, elle se taisait.

Hortense ne prêtait plus attention à rien, c'est à peine si elle se souvenait de la présence de Clémentin. Pourtant, celui-ci levait vers elle des yeux implorants, presque... tristes. Mais cela, Hortense ne le vit pas. Non, elle suivait amoureusement des yeux les grandes mains du professeur, rêvant ces mêmes mains prenant les siennes. Elle s'imaginait un soir, blottie contre lui, se laissant guider par sa voix virile. Hortense s'imaginait beaucoup de choses au travers de son esprit tordu. Trop pour toutes les raconter ici.

***

Vînt enfin la fin du cours, bien trop tôt au goût de notre jeune héroïne. Elle se saisit prestement de son sac et se dirigea vers la porte, non sans un dernier regard plein de tendresse vers son amoureux secret. Si l'homme viril ne leva pas les yeux vers elle, il en était autrement de Musclor.

Chronique D'une OrticultriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant