Chapitre 21

65 11 2
                                    

Les jours refroidissent encore et toujours plus. Un fin manteau blanc recouvre la toiture des maisons. Comme à mon habitude, j'émerge doucement de mon profond sommeil. Je traîne au lit quelques instants. Après tout... je ne vais pas en cours, aujourd'hui. Je me remémore ma soirée avec ma mère. Je me rappelle alors que cette dernière m'a prévenue qu'elle avait renoué il y a peu avec une amie et qu'elle devait s'absenter pour la rejoindre. Elle ne sera donc pas là aujourd'hui. Je ne peux m'empêcher de penser que, même si ma mère a beaucoup changé, au fond, je ne la vois pas tellement plus qu'avant. Elle m'a cependant promis que, demain, nous passerons la journée ensemble.

N'ayant pas l'intention de rester au lit toute la journée, je me redresse et retire ma couette. De longs frissons me parcourent l'échine. Je me frotte énergiquement les bras pour me réchauffer. Je pose mes pieds au sol pour me lever mais le parquet glacial semble aspirer toute la chaleur de mon corps. Je sautille donc jusqu'à mes chaussons. J'enfile ensuite une robe de chambre et me dirige vers la cuisine. Je me prépare un bol de chocolat-chaud et je trouve, posé sur la table, un paquet de croissants avec un petit post-it posé dessus. Je m'en empare et lis les quelques mots qui y sont griffonnés au crayon-de-papier : Bonne journée, mon cœur. Maman.

Je soupire tout en souriant et m'empresse de saisir mon téléphone portable pour envoyer un sms à ma mère. Une fois cela fait, je prends mon petit-déjeuner et je réfléchis à la façon dont je vais pouvoir tuer le temps jusqu'à mon rendez-vous avec Mathys, en fin de journée. Je décide de me rendre en ville et de me balader. Cela me distraira et m'empêchera de penser à tout ce qui me tourmente.

Je me lève, débarrasse le petit-déjeuner, vais prendre une douche, m'habille, me prépare, prends un peu d'argent et claque la porte derrière moi. Je m'éloigne enfin de la maison. Emmitouflée dans plusieurs épaisseurs, je marche tranquillement en direction du centre commercial. J'y parviens au bout d'une vingtaine de minutes.

Je m'arrête devant les vitrines de plusieurs magasins, j'hésite, je repars. Je joue des coudes pour me frayer un chemin dans la foule de personnes qui marchent dans les grandes allées du centre commercial. Je rentre dans plusieurs magasins, je m'arrête sur des produits qui me plaisent. Je touche la matière, je détaille les motifs, j'admire la couleur et la forme. Quand l'article me plait bien, je l'essaye. En cabine aussi, il y a beaucoup de queue et je dois parfois attendre plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir me changer.

Cela ne me dérange pas de faire les boutiques seule. Pour une fois, cette solitude me fait du bien. Je peux enfin aller à mon rythme, choisir ce que je veux, sans craindre le jugement de mes amis lorsque je m'arrête devant tel ou tel produit. Robe, jupe, jean, legging... il y a tellement de choix. Escarpins, bottines, baskets... Je me laisse aller à mes envies et mes goûts. Je m'arrête devant les boutiques de maquillage, de vêtements, de chaussures... Je regarde, j'hésite, j'achète et je reprends ma course folle. Je fais une petite pause dans une boulangerie pour prendre un sandwich qui constitue mon repas de midi.

Lorsque j'ai fini, je me dirige à nouveau vers un magasin. Je craque pour un magnifique chemisier blanc nacré, très bien coupé et dont la forme me convient parfaitement. Je décide de l'essayer avec un petit legging noir dont le tissu est fin et souple et qui semble très confortable. J'en profite pour m'emparer d'un débardeur qui me plaît bien et d'une écharpe que je trouve sympa. Je me dirige enfin vers les cabines d'essayage.

Après presque un quart d'heure de queue, je peux enfin me changer pour tester mes nouveaux articles. Je tire le rideau et m'arrête face au miroir. Je me regarde, je détaille chacun de mes traits et je tente de cerner chacune de mes expressions dissimulées sur mon visage. Je n'ai pas beaucoup changé. J'ai toujours cette longue tignasse noire ondulée qui tombe en cascade jusqu'à mes hanches. J'ai gardé ce profil mince, cette longue silhouette élancée. J'ai toujours de grands yeux noisettes. Cette même couleur qui se reflétait dans les yeux de mon père. Je suis une adolescente comme les autres, bientôt âgée de dix-sept ans. Pourtant, je parais vieille, fatiguée, triste. Si mes yeux sont pareils à ceux que j'ai toujours eus, mon regard est nuancé de milliers de petites choses qui le rendent chaque jour différent. On dit que les yeux sont les portes de l'âme et j'aime cette expression si véridique. Je rajouterais même que le regard est la clé qui permet d'ouvrir ces portes. Car l'âme est le reflet d'une vie, d'une aventure, d'un passé qui nous a construit et qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui. Et je vois aujourd'hui dans mes yeux, dans mon regard, ce lourd passé que je traîne derrière moi comme une ombre. Ce passé douloureux qui m'a à la fois détruite et rendue plus forte. Ce passé douloureux qui m'a arraché mon insouciance et ma naïveté d'enfant pour me rendre plus sage et plus mature. Ce passé douloureux qui m'a vieillie, qui m'a fatiguée et qui m'a donné cet air triste qui refuse de quitter mon visage...

Ne me juge pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant