Chapitre 12

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Je suis assise dans la cours de récréation. Je suis seule au milieu de toute cette agitation frénétique. Des enfants courent, jouent, discutent, crient, rient, et moi je suis seule. Je me sens délaissée et détestée. J'ai l'impression d'être un vulgaire chiffon que l'on jette lorsqu'il ne sert plus à rien. J'ai l'impression d'être un vieil objet de décoration dont personne ne veut. C'est horrible de se sentir à ce point seule. Mais, plus horrible encore, le regard de mépris que me jettent les autres enfants ne fait qu'accroître mon malaise. Je ne trouve nul refuge. La maison n'est plus qu'un habitat vide et froid, comparable à un frigo inutilisé. Ma mère, constamment absente. Mon père, qui ne fait plus partie de ce monde.

Je n'ai plus aucun ami. Plus personne sur qui compter. Plus personne en qui j'ai confiance... L'air que je respire, le ciel qui me domine, la terre que je foule de mes pieds, n'appartiennent plus à mon monde. Je suis ailleurs, davantage préoccupée par mes tourments. Mon cœur continue inlassablement de battre mais je ne le sens plus. Le sang continue de courir dans mes veines mais j'ai l'impression d'être une enveloppe vide, dépourvue de toute vie. En fait, je suis morte à l'intérieur.

J'hésite dans chacun de mes gestes. Je n'ai plus confiance en rien, plus même confiance en moi. Lorsque quelqu'un m'adresse la parole (ce qui arrive très rarement), je me mets à paniquer. J'ai envie de crier et de m'enfuir en courant. Quand quelqu'un me touche (ce qui arrive plus rarement encore), je suis prise de tremblements et je cesse de respirer. Je vois la violence dans chaque mouvement, je vois la haine dans chaque regard et je sens la méchanceté vibrer dans toutes les voix. Voilà cette dure réalité à laquelle je suis confrontée : j'ai peur des gens. Je ne peux plus affronter le monde, je fuis tout ce qui bouge, qui parle et qui juge. J'ai peur que l'on me fasse à nouveau du mal. Peur d'accorder à nouveau ma confiance.

Même si la maîtresse a découvert qu'il se passait quelque chose dans la classe. Même si elle est intervenue et qu'elle a prévenu tout le monde. Même si ma mère s'est souciée de moi l'espace de quelques jours. Même si les enfants de ma classe se sont calmés et même si le harcèlement a cessé, il y a toujours des rumeurs qui circulent à mon propos. Les gens continuent de me jeter des regards noirs de mépris et ils ne cessent de toujours m'isoler.

Il y a quelques jours, un nouvel élève est arrivé à l'école. Il a un an de plus de que moi et je sais qu'il s'appelle Mathys. Je n'ai pas pour habitude de me préoccuper des nouveaux élèves, encore moins de ceux qui n'ont pas le même âge que moi. Mais lui, c'est différent. Il est différent. Tout le monde le connaît déjà, à l'école. Il paraît qu'il est très sympa, qu'il sourit beaucoup et qu'il rigole tout le temps. Il est détendu, il parle avec tout le monde et il met l'ambiance. Il s'est très vite fait plein d'amis. En un mot : il est populaire. Et c'est pour ça que je me préoccupe de lui. Il n'y a jamais vraiment eu de notion de popularité dans notre école. Mais à présent, quelqu'un débarque et il se trouve qu'il a énormément de succès auprès de tout le monde. Cela me fait vraiment très peur. Si cette personne entend parler de moi, elle risque de rejoindre le camp de mes persécuteurs et ma vie sera un désastre. Les rumeurs s'amplifieront et le harcèlement pourrait bien recommencer. Sauf que cette fois-ci, ce ne sera pas juste à l'échelle de ma classe. Ce sera à l'échelle de toute l'école.

Je dois donc me méfier de Mathys. Il a l'air influent et c'est très mauvais signe pour moi. Je ne dois pas l'approcher et encore moins lui faire confiance. Les personnes comme lui sont les plus dangereuses parce qu'un jour elles disent vous apprécier et le lendemain elles vous font vivre un enfer.

Je reste donc à l'écart, comme à mon habitude, et je l'observe du coin de l'œil. Il ne doit pas s'approcher de moi. Il ne doit pas me parler. Jamais.

Ne me juge pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant