Elle observait.
Du moins, durant tout le temps que cette mission lui serait dévolue, elle était censée observer, examiner, surveiller, guetter, scruter, ... et un tas d'autres verbes du même acabit dont elle se moquait éperdument au moment présent.
Par la déesse mère Gaia !, elle en avait plus qu'assez d'observer les bouillons d'écume sur le rivage, plus qu'assez d'examiner l'immobilisme d'une mer dépourvu de tout remous, plus qu'assez de surveiller cet immensité plane sans mouvement, plus qu'assez de scruter un horizon qu'elle ne distinguait même plus à force de le fixer, et plus qu'assez d'attendre là comme une amphore vide qu'on avait exposée là et oubliée, plus qu'assez de guetter un quelconque événement salvateur qui n'arriverait jamais.
Alors, elle se contentait d'observer dans le silence avec une moue boudeuse : les lèvres pincées, un peu déportées sur le côté, les commissures creusées, comme si elle mâchait de l'algue pas fraîche.
Observer, surveiller, guetter, scruter,... et quoi d'autres encore ?!
Tresser un chignon !? Lustrer des écailles !? Planter des algues !?
Pfff ! Elle en avait marre.
Les fesses et la queue posées sur cette inconfortable roche noire dont les saillies lui rentraient dans les chairs, elle essayait de se remotiver. Tout en continuant de ruminer sa mauvaise humeur, elle récapitulait point par point les objectifs fixés par cette mission de "haute envergure" qui lui était confiée. De haute envergure !!
Elle aurait pu s'étrangler de rire tant l'incongruité de l'affaire lui paraissait désopilante. D'ailleurs elle s'était écroulée de rire lorsqu'on avait instauré les différentes affectations de chacune. Chacun des quatre corps de besognes s'était avéré tellement rébarbatif au bout d'à peine deux nuitées qu'elle avait décidé de réviser ses plans et de mettre en place un roulement régulier.
Oui, elle ! Silja.
Toujours en train de jouer les mijaurées d'impératrices : donner des ordres impérieux, imposer qui doit faire quoi et comment le faire. Pour qui se prenait-elle celle-là ?!
Pfff ! De toute façon, exercer l'une ou l'autre de ces tâches l'importait peu car l'une comme l'autre de ces tâches la gonflaient royalement. Alors faire plutôt ceci plutôt que cela, elle devait bien tuer le temps...
Perchée au sommet du rocher pointu, entourée par deux de ses sœurs, elle énumérait dans sa tête les points principaux qu'elle avait en charge.
POINT NUMÉRO UN : détecter les auspices et les augures.
Cela consistait à observer tout signe divin qui pourrait être interprété comme un présage. Présage quel qu'il fût : bon ou mauvais, inhabituel ou répété, visible ou imperceptible, manifeste ou mystérieux, anodin ou extraordinaire, minuscule ou colossal.
Ensuite, par la lecture de ce présage, il convenait de déterminer l'expresse volonté des Dieux.
Les signes divins se manifestaient à travers les météores, en particulier par le tonnerre et les éclairs envoyés par le terrible et colérique Zeus ; via le sens des vents ordonnés par Éole, le maître des tous les vents ou par l'une des onze divinités en rapport. Les signes divins se traduisaient aussi en fonction de la direction du vol des oiseaux ainsi que par leurs chants. Elle préférait employer le terme de "piaillements" plutôt que chants car aucun de ses volatiles qui s'égosillaient ne pouvait rivaliser avec la voix d'une seule sirène.
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SIRÈNES - LIVRE II - L'ÎLE ROCHEUSE
FantasyElles sont douze. Douze sirènes prisonnières sur une île noire et stérile. Personne ne sait précisément où est localisée cette île - quelque part à l'ouest de la Sicile?, non loin du Golfe de Néapolis (Naples)? - car personne n'est jamais revenu viv...