20. LES SENTINELLES / 4. CELLE QUI SOUPIRE

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Elle soupira.

Elle se sentait abattue.

Abattue par la chaleur environnante,

mais surtout découragée. Terriblement découragée.


Elle soupira à nouveau.

Ses épaules commencèrent par s'affaisser.

Les traits de son visage suivirent le mouvement ;

un bref instant, ils se figèrent en un masque de tragédie grecque.


Elle soupira une fois de plus.

Une profonde lassitude l'accablait.

Un nœud la tenaillait au plus profond de son être.

Et cela ne datait pas d'hier...

Elle soupira encore.


Une succession de soupirs qui exprimait tous les malheurs du monde.

Ces soupirs englobaient tout le poids de sa vie de sirène (et peut-être aussi ceux de sa vie d'avant) : tous les sacrifices qu'elle avait endurés et qu'elle continuait à supporter au quotidien ainsi que toutes les infortunes et tous les chagrins qu'elle partageait avec ses sœurs. Des soupirs lourds, pesants sous l'écrasement du destin.


Cette troisième sentinelle connaissait parfaitement la consigne :

scruter le vaste horizon... dans l'infime espoir d'y trouver leur salut.

Elle s'était résignée à mettre en pratique uniquement la première partie de la proposition.

La seconde en découlerait en toute logique, cela paraissait évident !

Toutefois comme elle avait perdu foi en la première, elle contemplait le paysage d'un air absent.


De toute façon, l'une de ses sœurs prendrait bientôt le relai. Qu'importait alors si elle s'évertuait à détecter une vague écumante plus irrégulière que les autres : ou si elle notait un vol sinueux d'oiseaux plus expressif qu'un autre ; ou si elle se rendait compte que Zéphyr avait dévié la brise tiède de sa trajectoire initiale ; ou pire, si elle clamait haut et fort que ses deux sœurs à ses côtés n'étaient pas concentrées le moins du monde sur leur objectif !

Ah ah ah ! Croyaient-elles que personne n'avait remarqué leurs simagrées ?!

La première se trémoussait sur son séant et se triturait les cheveux dans tous les sens pendant que la seconde bougonnait entre ses dents des marmonnements incompréhensibles.

Elle leva les yeux au ciel et lâcha un profond soupir sans même s'en rendre compte.


Les volutes onctueuses de la brise l'enveloppaient.

Sous l'effet de la chaleur, sa transpiration lui picotait la peau.

Une goutte de sueur perla au niveau de son front. Elle ruissela le long de ses tempes et prit progressivement de la vitesse. Elle suivit la courbe de sa mâchoire puis dévala en chute libre le long de son cou avant de s'engager dans le creux de sa poitrine. La sirène l'essuya du revers de la main.

Cette distraction suffit à détourner son attention sur le reste de son corps.

Elle se mit à chasser d'invisibles poussières sur le haut de sa poitrine.

SIRÈNES - LIVRE II - L'ÎLE ROCHEUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant