Stoïque en apparence, son esprit bouillonnait.
Elle déroulait dans sa tête une par une toutes les actions d'inertie absolue qu'elle exerçait et elle constatait qu'elle remplissait en réalité une multitude de tâches – et avec brio de surcroît, aurait-elle aimé à préciser. Comble de l'ironie, elle effectuait toutes ces tâches en simultané. Des tâches de la plus haute importance, aurait avancé Dame Silja. Des tâches plus stupides et inutiles les unes que les autres, bougonnait-elle entre ses dents. Quoi qu'il en fût, chacune de ces tâches avaient été réalisées par une seule et même sirène : la meilleure d'entre toutes, sans la moindre réfutation : elle-même. Elle aurait presque eu envie de s'applaudir des deux mains et claquer de la nageoire tant sa capacité à déceler une pointe d'humour dans cette situation désespérée et absurde relevait de l'exploit individuel. Ses lèvres s'écartèrent dans une sorte de semi-sourire – ironique, cela allait de soi.
Comment taire l'ennui qui l'envahissait ?
Assise la queue enroulée à la façon d'un serpent, elle siégeait sur le rocher le plus pentu, celui qui servait d'observatoire, le promontoire, le roc noir le plus élevé parmi tous les rocs noirs de l'île noire. Et elle y était très mal installée.
Elle se pencha sur le côté, souleva une fesse et y glissa un ongle pour se gratter un endroit intime qui la démangeait. L'opération "soulagement" achevée, elle croisa les bras et plongea son regard dans le vide infini. Vu de l'extérieur, on aurait pu croire qu'elle s'absorbait dans cette tâche avec ferveur et passion. Du moins, elle était persuadée qu'elle donnait le change auprès de l'ensemble de ses sœurs.
La question était simple : comment ne pas mourir d'ennui sur ce rocher sans murmurer de sempiternelles invectives tout en faisant semblant de remplir ces foutues tâches ?
Comme aucune lueur de solution ne voulait se manifester, elle se força donc à reprendre sa mission imposée. Peut-être trouverait-elle l'inspiration un peu plus tard !
Elle serrait les mâchoires... pendant qu'elle OB-SER-VAIT.
Elle mordillait l'intérieur de ses joues... pendant qu'elle E-XA-MI-NAIT.
Elle ruminait son ennui en silence... pendant qu'elle SUR-VEIL-LAIT.
Elle se surprit à compter ses dents avec sa langue pendant qu'elle GUET-TAIT.
Et elle faisait toujours la moue, ça n'avait pas changé.
Quoi d'autre encore ?
Quel verbe fastidieux manquait à cette monotone litanie ?
Celui qui imprégnait son esprit, elle aurait préféré l'oublier, l'effacer définitivement de sa mémoire. Or la plupart de ses sœurs l'avait adopté et le prononçait à tort et à travers alors qu'il n'avait pas le moindre sens : TRA-QUER.
Elle "traquait".
Un terme abstrait employé à mauvais escient par Silja.
Un acte qui ne signifiait rien pour elle.
Elle poursuivait la "traque".
Mais de quelle traque s'agissait-il ?
Elle traquait la mouette qui tournoyait au dessus de sa tête.
Elle traquait le nuage en forme de turbot qui se muait en sole.
Elle traquait l'intensité de la brise sur sa joue.
Elle traquait la vaguelette qui s'échouait sur le rivage.
Elle traquait du coin de l'œil cette Silja qui l'obligeait à traquer.
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SIRÈNES - LIVRE II - L'ÎLE ROCHEUSE
FantasyElles sont douze. Douze sirènes prisonnières sur une île noire et stérile. Personne ne sait précisément où est localisée cette île - quelque part à l'ouest de la Sicile?, non loin du Golfe de Néapolis (Naples)? - car personne n'est jamais revenu viv...