20. LES SENTINELLES / 3. CELLE QUI GUETTE (PARTIE 2)

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     Elle avait entraperçu une forme mouvante.

     Là-bas, le long de la ligne d'horizon.

     Un point minuscule était apparu.

     Très brièvement... avant de disparaître.

     Là-bas, à la limite du monde qui se termine.

     Une tache indistincte s'était dessinée à contre-jour.

     Elle avait entrevu – ou avait cru apercevoir – quelque chose qui avait bougé.

     Malgré une vue perçante, celle à la mèche rebelle commençait à douter.

     Bien que le soleil l'éblouît, elle continuait de fixer l'horizon avec une attention soutenue. Elle plissait les yeux, fronçait les sourcils à tel point que son front se couvrit de plusieurs ridules.

     Sous cette intense luminosité, où ciel et mer se reflétaient jusqu'à se confondre, elle n'y voyait rien. Tout se troublait : la ligne d'horizon oscillait, se déformait et s'estompait de plus en plus. Le ciel avait avalé la mer ou était-ce la mer qui avait englouti le ciel ? Elle n'aurait su le dire. La conjonction de ce flou à la réfraction de la lumière kaléidoscopique avait créé un mirage que son esprit interprétait comme la réalité.

     Elle cligna des yeux à plusieurs reprises.

     De gigantesques points brillants imprégnaient sa rétine.

     Illusion d'optique ou simple insolation ?

     Hallucination ou signe de fatigue ?

     Après une si longue exposition sous l'astre solaire, son esprit commençait à lui jouer de vilains tours. Avait-elle vu quelque chose ou pas ?

     Elle voulut en avoir le cœur net.

     Elle porta une main au front en guise de visière. Elle prit appui sur ses bras, se tira vers le haut autant qu'elle le put jusqu'à tenir en équilibre du bout des doigts sur le bord du rocher : elle poussa avec sa queue, avança sa tête afin de gagner quelques pouces supplémentaires et fixa le panorama.

     A force d'insister et de réquisitionner tous ses muscles, des dizaines d'étoiles se mirent à scintiller et à tournoyer autour d'elle. La tête lui tournait.

     Elle enroula au mieux sa queue, se rassit et attendit que ses troubles visuels se dissipassent.

     Elle garda les paupières closes jusqu'à effacer cette multitude de points lumineux.

     Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle redécouvrit le même paysage qui l'entourait depuis des lunes : des blocs noirs de granite disséminés de manière anarchique déchiraient les eaux et pointaient vers les cieux.

     Tout près de cet amas de roches volcaniques, surgissait une île noire d'une superficie ridicule. Une fois les fonds marins proches explorés, on se rendait compte qu'il s'agissait plus exactement d'une montagne sous-marine qui s'enfonçait profondément sous la surface et dont le sommet émergeait en une forme tronconique plus ou moins aplatie. Volcan éteint dont le socle immergé avait été érodé par l'action continuelle des vagues.

     Un roc plat – d'un noir ténébreux – qui était leur lieu principal de vie.

     Elles y préparaient leurs frugaux repas ; elles y mangeaient ; elles y dormaient. Elles y tenaient aussi les comices, assemblées pour voter leurs propres lois et durant lesquelles elles palabraient sur les meilleures stratégies à adopter pour attraper du gibier. Comices qui n'avaient lieu que rarement désormais depuis que la barrière avait été édifiée entre leur île et le reste du monde et qu'elles se retrouvaient emprisonnées dans ce périmètre restreint.

SIRÈNES - LIVRE II - L'ÎLE ROCHEUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant