Quand tout le monde se réunit le lendemain pour le café, le général examina avec satisfaction les visages radieux qui l'entouraient. Le repas fut gai, mais court ; chacun avait à ranger et à travailler. Moutier se chargea de faire la chambre du général et la salle, pendant que les deux sœurs, aidées de Jacques, nettoyaient la vaisselle de la veille et préparaient tout pour la journée. Le général sortit ; il faisait beau et chaud. En allant et venant dans le village, il vit arriver les gendarmes escortant une charrette où se trouvaient Bournier, étendu sur le dos à cause de sa blessure, son frère et sa femme, assis sur une banquette. Une autre voiture, contenant le juge d'instruction et l'officier de gendarmerie, suivait la charrette. On s'arrêta devant l'auberge ; on fit descendre le frère et la femme Bournier ; deux gendarmes les emmenèrent et les firent entrer dans la salle où se trouvaient déjà les magistrats et l'officier. Deux autres gendarmes apportèrent l'aubergiste, qui criait à chaque secousse qu'il recevait, malgré les précautions et les soins dont on l'entourait. Ils l'étendirent par terre sur un matelas ; le juge d'instruction appela un des gendarmes.
« Allez chercher les témoins et la victime. »
Les gendarmes partirent pour exécuter leurs ordres.
Le général avait accompagné le cortége ; il entra dans la salle presque en même temps que les criminels. Il se plaça en face de Bournier, qui le regardait d'un œil enflammé par la colère.
« Gredin ! gueux, scélérat ! cria le général.
- Qui est cet homme qui injurie le prévenu ? dit le juge d'instruction en se retournant vers lui. Pourquoi est-il entré ? Faites-le sortir.
le général.
Pardon, Monsieur, je suis entré parce que je dois rester. Et si vous me faites sortir, vous serez fort attrapé.
le juge.
Parlez plus poliment à la justice, Monsieur. Des étrangers ne doivent pas assister à l'interrogatoire que j'ai à faire, et je vous réitère l'ordre de sortir.
le général.
L'ordre ! Sachez, Monsieur, que je n'ai d'ordre à recevoir de personne que de mon souverain (qui est très-loin). Sachez, Monsieur, qu'en me forçant à m'en aller, vous faites un acte inique et absurde.
Et sachez enfin que, si vous m'obligez à quitter cette salle, aucune force humaine ne m'y fera rentrer de plein gré et n'obtiendra de moi une parole relative à ces coquins.
le juge.
Eh ! Monsieur, c'est ce que nous vous demandons ; taisez-vous et partez.
le général.
Je sors, Monsieur ! Et je me ris de vous et de l'embarras dans lequel vous allez vous trouver. »
Le général enfonça son chapeau sur sa tête et se dirigea vers la porte. Moutier entrait au même moment ; il se rangea, porta la main à son képi :
« Pardon, général, » dit-il.
Le général sortit.
Le juge d'instruction regarda d'un air surpris.
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L'auberge de l'ange gardien
ClassicsD'après la comtesse de Ségur Deux enfants perdus, Jacques et Paul, sont recueillis par un brave militaire, Moutier. Ils s'arrêtent à l'auberge de l'Ange Gardien, tenue par l'excellente Mme Blidot et sa sœur Elfy qui les adoptent tandis que Moutier p...