Torchonnet se dessine

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Jacques pleurait encore la départ de son ami ; Paul lui essuyait les yeux avec son joli mouchoir et le regardait avec anxiété, Elfy était allée ranger la chambre de Moutier, madame Blidot mettait en ordre celle du général qui avait tout jeté de tous côtés.

« A-t-on idée d'un sans-souci pareil ? dit madame Blidot. Il n'a rien rangé ; jusqu'à sa cassette qu'il a laissée ouverte. Tous ses bijoux, ses décorations en pierreries, son service en vermeil ! Les voilà à droite, à gauche ; c'est incroyable ! Et c'est moi qui vais avoir à répondre de tout cela ! Quel drôle d'homme ? Je parie qu'il ne sait pas seulement ce qu'il a. »

Pendant qu'elle cherchait à rassembler les objets épars, Jacques entra.

jacques.

Maman, voici Pierre Torchonnet, qui est en colère après moi, de ce que je ne l'ai pas averti que le général partait ; ai-je eu tort, croyez-vous ?

madame blidot.

Mais non, mon enfant, tu n'avais pas besoin d'avertir Torchonnet ; pourquoi faire ?

jacques.

Il dit que le général l'aurait emmené.

madame blidot.

Emmené ? En voilà une idée !

Torchonnet entra dans la chambre.

torchonnet.

Oui, certainement, il m'aurait emmené, puisqu'il voulait me prendre pour fils ; c'est le curé qui l'en a empêché. Et si j'étais venu à temps ce matin, je serais parti avec lui ; le curé n'a aucun droit sur moi ; il ne peut pas empêcher le général de me prendre.

madame blidot.

Torchonnet, ce que tu dis la est très mal. M. le curé a bien voulu te prendre quand tu étais malheureux et abandonné, et il te garde par charité et pour ton bonheur.

torchonnet.

Et moi je ne veux pas rester avec lui. J'ai bien entendu ce que le général disait et ce que le curé répondait ; il m'a empêché d'être riche et d'être un monsieur : et moi je ne veux pas rester chez lui à travailler

et à m'ennuyer. Je veux qu'on me mène au général.madame blidot.

Il me semble, mon garçon, que ta langue s'est bien déliée depuis hier ; tu n'étais pas aussi bavard ni aussi volontaire quand tu étais chez ton maître.

torchonnet.

Je n'ai plus de maître et je n'en veux plus. Je veux aller rejoindre le général.

madame blidot.

Eh bien ! va le rejoindre, si tu peux, et laisse-nous tranquilles. Mon petit Jacques, viens m'aider à serrer tout cela.

torchonnet.

Qu'est-ce que vous avez là ? Ce sont les affaires du général. S'il me prend pour fils, tout sera à moi. Pourquoi les avez-vous prises ? Je le dirai aux gendarmes, quand je les verrai.

madame blidot.

Dis ce que tu voudras, mauvais garçon, mais va-t'en laisse-nous faire notre ouvrage. »

Torchonnet, au lieu de s'en aller, entra plus avant dans la chambre, et, sans que madame Blidot et Jacques s'en aperçussent, il saisit une timbale et un couvert en vermeil et les mit sous sa blouse, dans la poche de son pantalon. Jacques aidait madame Blidot à remettre en place les pièces du nécessaire de voyage ; ils y réussirent avec beaucoup de peine, mais deux compartiments restaient vides.

jacques.

Il manque quelque chose, maman ; on dirait que c'est un verre et un couvert qui manquent ; voyez la

L'auberge de l'ange gardienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant