La noce

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Le général était allé surveiller les apprêts du festin pour le lendemain et tous les préparatifs de la fête qui devait se terminer par un bal et un feu d'artifice. À la nuit tombante, il alla se coucher ; la journée avait été fatigante, il ronfla dix heures de suite sans bouger.

On se réunit à sept heures pour déjeuner : le bonheur

était sur tous les visages.elfy.

Encore un remerciement à vous adresser, mon bon général ; nous avons trouvé dans nos chambres nos toilettes pour ce matin.

le général.

Trouvez-vous les vôtres à votre goût, Mesdames ?

elfy.

Charmantes, superbes, et cent fois au-dessus de ce que nous nous serions donné, si nous avions eu a les acheter, mon bon général.

le général.

Je voudrais voir tout cela sur vous, ma petite Elfy, et je veux voir aussi votre sœur en grande toilette. »

Les deux sœurs se retirèrent avec les enfants, qui ne se possédaient pas de joie de mettre les beaux habits, les brodequins vernis, les chemises à manches à boutons préparés pour eux.

Le général et Moutier restèrent seuls ; les regards de Moutier exprimaient une profonde reconnaissance et un bonheur sans mélange : il renouvela ses remerciements en termes qui émurent le général.

« Soyez sûr, mon ami, lui répondit-il, que votre bonheur me rend moi-même fort heureux ; je ne me sens plus seul ni abandonné ; je sais que tous vous m'aimez malgré mes sottises et mes bizarreries. Le souvenir que j'emporterai d'ici me sera toujours doux et cher. Mais il faut que nous aussi nous pensions à notre toilette ; il faut que nous nous fassions beaux, vous, le marié, et moi, remplaçant le père de la mariée... et le vôtre aussi, mon pauvre enfant. »

Moutier le remercia encore vivement, et ils se séparèrent. Dérigny attendait le général pour aider à sa toilette qui fut longue et qui mit en évidence toute l'ampleur de sa personne. Grande tenue de lieutenant général, uniforme brodé d'or, culotte blanche, bottes vernies, le grand cordon de Sainte-Anne et de Saint-Alexandre, des plaques en diamants, l'épée avec une poignée en diamants, et une foule de décorations de pays étrangers à la Russie.

Elfy ne tarda pas à paraître, jolie et charmante, avec sa robe de taffetas blanc, son voile de dentelle, sa couronne de roses blanches et de feuilles d'oranger. Des boucles d'oreilles, une broche et des épingles à cheveux en or et perles complétaient la beauté de sa toilette et de sa personne. Madame Blidot avait une toilette élégante appropriée à ses vingt-neuf ans et à son état de veuve. Moutier avait son riche costume de zouave tout neuf, qui faisait valoir la beauté de sa taille et de sa figure. Les enfants étaient gentils et superbes. Dérigny était proprement habillé, sans élégance et tout en noir. Seul, il avait une teinte de tristesse répandue sur son visage. Ce mariage lui rappelait le sien, moins brillant, avec le même bonheur en perspective, et ce bonheur s'était terminé par une longue souffrance. Il craignait aussi pour ses enfants les changements qu'amènerait certainement ce mariage. Et puis, son retour à lui ne l'obligerait-il pas à séparer ses enfants d'avec madame Blidot qu'ils aimaient tant ? La proposition du général lui revenait sans cesse ; il ne savait quel parti prendre : la rejeter, c'était replonger ses enfants dans la misère : l'accepter, c'était assurer leur avenir ; mais à quel prix ! Quel voyage ! quelle position incertaine ! quel climat à affronter ! Et quel chagrin à leur infliger que de les priver des soins et de la tendresse de madame Blidot ! Ce furent ces réflexions, réveillées par le mariage d'Elfy qui attristèrent sa physionomie. Le général la regarda un instant, devina ses préoccupations :

L'auberge de l'ange gardienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant