Le lendemain était le jour du contrat. Chacun était inquiet à l'Ange-Gardien ; on ne voyait rien venir. Le général était calme et causant. On déjeuna. Jacques et Paul seuls étaient gais et en train.
Le général se leva et annonça qu'il était temps de s'habiller. Chacun passa dans sa chambre, et de tous côtés on entendit partir des cris de surprise et de joie. Elfy et madame Blidot avaient des robes de soie changeante, simples, mais charmantes ; des châles légers en soie brodée, des bonnets de belle dentelle. Les rubans d'Elfy étaient bleu de ciel ; ceux de sa sœur étaient vert et cerise. Les cols, les manches, les chaussures, les gants, les mouchoirs, rien n'y manquait. Moutier avait trouvé un costume bourgeois complet ; Dérigny de même ; Jacques et Paul, de charmantes jaquettes en drap soutaché, avec le reste de l'habillement. Ils n'oublièrent pas leurs montres ; chacun avait la sienne.
Les toilettes furent rapidement terminées, tant on était pressé de se faire voir. Quand ils furent tous réunis dans la salle, le général ouvrit majestueusemeut sa porte ; à l'instant il fut entouré et remercié avec une
vivacité qui le combla de joie.le général.
Eh bien, mes enfants, croirez-vous une autre fois le vieux Dourakine quand il vous dira : Ayez confiance en moi, ne vous inquiétez de rien ?
- Bon ! cher général ! s'écria-t-on de tous côtés.
le général.
Je vous répète, mes enfants, ne vous tourmentez de rien ; tout sera fait et bien fait. À présent, allons recevoir nos invités et le notaire.
elfy.
Où ça, général ? où sont-ils ?
le général.
C'est ce que vous allez voir, mon enfant. Allons, en marche ! Par file à gauche ! »
Le général sortit le premier ; il était en petite tenue d'uniforme avec une seule plaque sur la poitrine. Il se dirigea vers l'auberge Bournier, suivi de tous les habitants de l'Ange-Gardien. Le général donnait le bras à Elfy, Moutier à madame Blidot, Dérigny donnait la main à ses enfants. Tout le village se mit aux portes pour les voir passer.
« Suivez, criait le général, je vous invite tous ! Suivez-nous, mes amis. »
Chacun s'empressa d'accepter l'invitation, et on arriva en grand nombre à l'auberge Bournier. Au moment où ils furent en face de la porte, la toile de l'enseigne fut tirée, et la foule enchantée put voir un tableau représentant le général en pied ; il était en grand uniforme, couvert de décorations et de plaques. Au-dessus de la porte était écrit en grosses lettres d'or : au Général reconnaissant.
La peinture n'en était pas de première qualité, mais
la ressemblance était parfaite, et la vivacité des couleurs en augmentait la beauté aux yeux de la multitude. Pendant quelques instants, on n'entendit que des bravos et des battements de mains. Au même instant, le curé parut sur le perron ; il fit signe qu'il voulait parler. Chacun fit silence.
« Mes amis, dit-il, mes enfants, le général a acheté l'auberge dans laquelle il aurait péri victime de misérables assassins sans le courage de M. Moutier et de vous tous qui êtes accourus à l'appel de notre brave sergent. Il a voulu témoigner sa reconnaissance à la famille qui devient celle de Moutier, en faisant l'acquisition de cette auberge pour répandre ses bienfaits dans notre pays ; bien plus, mes enfants, il a daigné consacrer la somme énorme de cent cinquante mille francs pour réparer et embellir notre pauvre église, pour fonder une maison de Sœurs de charité, un hospice, une salle d'asile et des secours aux malades et infirmes de la commune. Voilà, mes enfants, ce que nous devrons à la générosité du Général reconnaissant. Que cette enseigne rappelle à jamais ses bienfaits ! »
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L'auberge de l'ange gardien
ClásicosD'après la comtesse de Ségur Deux enfants perdus, Jacques et Paul, sont recueillis par un brave militaire, Moutier. Ils s'arrêtent à l'auberge de l'Ange Gardien, tenue par l'excellente Mme Blidot et sa sœur Elfy qui les adoptent tandis que Moutier p...