10 | mur du son.

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— Eh, tu crois que ça va aller ? Me demande Ann'.

Ma tête roule sur le côté. Mes yeux enflés m'empêchent de bien voir. Par contre, rien ne m'excuse le fait de ne pas répondre à sa question. S'ils m'avaient défoncé les oreilles, là d'accord ; j'aurai une excuse, mais la seule partie restée intacte et qu'ils n'ont pas touchée, c'est bien mes oreilles.

— Eh ! Layl ! Je te parle, putain ! rugit Ann', les yeux fixés sur le rétroviseur pour me voir.

Son soudain changement de ton me surprend et je sursaute légèrement.

— Aïe, putain... Ouai ça va ; je suis pas encore mort, si c'est ce que tu veux savoir, je réponds sèchement : il n'a pas à me gueuler dessus, je ne lui ai rien fait, moi.

Ann' souffle puis me regarde dans les yeux avant de murmurer :

— Désolé, je suis un peu à cran en ce moment.

— On est tous à cran, en ce moment. Et je roule des yeux, en guise de "cerise sur le gâteau".

Il cligne des yeux plusieurs fois avant de les détourner. Je crois que je l'ai vraiment blessé.

(tu crois ? tu l'as carrément agressé, ouai.)

((j'crois qu'j'ai merdé))

—Désolé, je suis un peu à cran, en ce moment.

—On est tous à cran, en ce moment.

Je lève les yeux pour le voir dans le miroir, m'attendant à le voir souriant (et tout serait rentré dans l'ordre) mais non, son visage est fermé, les sourcils froncés et le front un peu strié de rides, signe qu'il n'est pas totalement détendu.

Il me jette un coup d'œil furtif dans le rétroviseur au moment même où mes yeux commencent à me piquer.

Les larmes me montent aux yeux et avant même d'essayer de m'en empêcher, la fontaine est déclenchée et des larmes salées inondent automatiquement les yeux.

— Putain ! Je suis tellement désolé ! J'ai tout fait pour les en dissuader, mais je n'ai pas pu ! Pardon, pardon, pardon. Excuse-moi ; ils étaient cinq, je ne pouvais rien faire ! Pitié, excuse-moi, s'il te plaît... Je suis qu'un bon à rien, je ne mérite pas de vivre, je suis qu'un con, un con boulimique et qui mérite de mourir.

Mes poignets me lancent, me rappelant l'existence de mes cicatrices et je retire mes manches d'un geste rageur (et désespéré). Et je commence à gratter, toujours de plus en plus — jusqu'à ce que l'odeur du sang me donne la nausée. Le sang perle déjà aux extrémités de la coupure.

— Moi qui me disais que cette journée allait être mienne, parce qu'elle avait si bien commencé ...

Je prends une pause pour reprendre mon souffle, et c'est le moment qu'Ann' choisit pour allumer la radio, et la mettre à fond le volume.

Silence ; c'est là aussi que mon cœur rate un battement de son rythme effréné.

Et puis ... :

— J'en ai marre de t'entendre râler. J'en ai ras le bol, tu comprends ? Deux fois en trois jours, c'est trop pour moi.

Coup de grâce, avec élégance, et surtout, froideur.

Même si je ne parle pas, je sens ma voix craquer ; je me sens vide, tellement vide. Putain ...

Destruction.

Je referme ma bouche ; essuie mes larmes avec mes poignets ; l'eau salée se mélange avec le rouge cristallin de mon sang et la moitié de mon champ de vision est teinté de rouge.

De la journée, je fis la deuxième chose la plus stupide qu'il soit : bien que la voiture soit en marche, j'ouvre la portière à la volée et je sens une bourrasque d'air frais me fouetter le visage. Je saute du siège, mon cartable toujours porté par mes épaules.

Je m'en fous de provoquer un accident, je m'en fous de tuer quelqu'un, et surtout, je m'en fous de savoir que je vais me tuer.

Je roule en boule, et sur l'effet de l'adrénaline, je ne ressens même plus la douleur ; et tant pis si ça va me retomber dessus plus tard, j'en assumerai les conséquences ; pour une fois dans ma vie, je dois peut-être me comporter en un vrai homme — et pas une chochotte.

Une voiture roule à vitesse grand V face à moi, j'écarquille les yeux, mais mes sens étaient en alerte et heureusement (ou malheureusement) je l'évite in extremis ; j'arrive sur le côté de la route et je me lève enfin à la vue de tous ceux qui conduisent — ou même d'un piéton.

Je risque un coup d'œil, au risque de me broyer encore un peu plus le cœur, là où, je, nous étions un peu plus plutôt, pour voir si par pur hasard, une voiture rouge y serait encore.

Elle n'y est pas, et pas la moindre trace d'un grand asiatique à la taille féline.

J'éclate en sanglots alors, seul dans une route à moitié désertique, les vêtements en sang et déchirés, les cheveux hirsutes et un cartable Eastpack  bleu à moitié défoncé sur une épaule voutée.

Je dois vraiment faire pitié  voir, ainsi dans cet accoutrement ; mais heureusement, je dois dire qu'on ne voit pas dans quel état est mon cœur ; il doit pas être beau à voir.

D'un coup, sans prévenir, l'adrénaline chute d'un coup et, bordel ce que j'ai mal.


(chapitre pas relu)


ce que le soleil doit à la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant