5 | d(éc)evoir.

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"𝓠𝓾𝓪𝓷𝓭 𝓬𝒆𝓼 𝓼𝒆𝓷𝓽𝓲𝓶𝒆𝓷𝓽𝓼 𝓭𝓸𝓷𝓽 𝓳𝒆 𝓷𝒆 𝓬𝓸𝓷𝓷𝓪𝓲𝓼 𝓹𝓪𝓼 𝓵𝒆 𝓷𝓸𝓶 𝓶'𝓪𝓼𝓼𝓪𝓲𝓵𝓵𝒆𝓷𝓽, 𝓳𝒆 𝓼𝓪𝓲𝓼 𝓺𝓾𝒆 𝓳𝒆 𝓼𝓾𝓲𝓼 𝒆𝓷𝓽𝓻𝓪𝓲𝓷 𝓭𝒆 𝓽𝓸𝓶𝓫𝒆𝓻,

𝓶𝓪𝓵𝓪𝓭𝒆.

𝓒𝒆𝓼 𝒇𝓻𝓲𝓼𝓼𝓸𝓷𝓼 𝓲𝓷𝒆𝔁𝓹𝓵𝓲𝓺𝓾𝒆́𝓼, 𝓲𝓷𝓼𝓾𝓹𝓹𝓸𝓻𝓽𝓪𝓫𝓵𝒆𝓼 𝓹𝓸𝓾𝓻 𝓶𝓸𝓲, ç𝓪 𝓶𝒆 𝒇𝓪𝓲𝓽 𝓹𝒆𝓾𝓻. 𝓒𝓸𝓶𝓶𝒆 𝓼𝓲 𝓳𝒆 𝓽𝓸𝓶𝓫𝓪𝓲𝓼 𝒆𝓷 𝓪𝓶𝓸𝓾𝓻. "





La faim — et surtout la peur de revoir Ann' après toutes ces années pendant lesquelles il m'a terriblement manqué — me ronge les entrailles. 

Des jours sont passés depuis l'incident du gratin de pâtes et je ne me porte pas plus mal — enfin, si ce n'est que mon pied me faisait horriblement encore plus mal quand je marche (oui, non, je ne l'ai pas soigné — pour te remémorer ton courage ce jour-là ? Non... C'est comme... Une punition.)


Ann' a tenté plusieurs fois de me contacter, mais je restais injoignable jusqu'au jour où... Où il est venu toquer à la porte de MA maison.

J'ai été obligé d'y aller mais, heureusement, c'était ma mère qui lui a ouvert la porte. Elle m'a donc prévenu et j'ai eu le temps de me préparer moralement — vous croyez que j'allais dire physiquement ? Depuis toujours que je ne prête plus attention à mon physique.


Combien d'années ne l'avais-je pas vu ? Cinq ans ? Faut dire que je le connais depuis mes dix/neuf ans et que j'ai toujours été fourré avec lui ; tout pouvait se passer, et j'étais désespérément accroché à ses pieds (il faut dire aussi qu'il est immense).


Du haut des escaliers, j'ai observé Ann' qui sourit en explorant de nouveau l'entrée de ma maison après des années d'absence.

Il lève la tête au ciel et me remarque. Son visage se fige mais à peine quelques secondes plus tard, il retrouve son sourire et sa malice dans les yeux habituels.

— Layl ! s'exclame-t-il, joyeux.

Je ne réponds pas, je suis comme figé. Je n'arrivais plus à bouger et même si je pouvais faire le moindre mouvement, je ne serais pas allé jusqu'à lui.

Pourquoi ? 

Parce que sa remarque sur mon soi-disant poids (qui aurait baissé) m'a vraiment blessé (et vexé).

S'il a vraiment été mon ami depuis tout ce temps, il aurait su à quel point je prenais cette histoire de poids  vraiment vraiment au sérieux. Et que n'importe quel petit gramme de perdu me rendait euphorique.

Bon nombre de fois où il me voyait pleurer à cause des remarques sur mon poids et nombre fois où il me consolait (efficacement).

Mais là, il avait paru déçu. Presque blessé.

Blessé ? Qu'il aille se faire foutre, lui, son pack de six et sa musculature saillante sous ses t-shirts pourtant très peu moulants (et ses petites-amies, occasionnellement).

— Tu veux que je vienne te chercher, comme avant ? (dit-il à nouveau, le sourire ne cessant de s'agrandir à mesure que les secondes passaient. Il ne comprenait donc pas ce qui m'arrive ? Pourtant, des années plutôt, il aurait tout de suite compris que quelque chose clochait. Comme il y a quelques jours, avec la conversation Skype.) Et que je te porte sur mes épaules ?

Que nenni.

— Je pèserai lourd pour tes épaules. Ma bouche s'est enfin décidée à s'ouvrir pour prononcer une petite phrase.

— Tu rigoles ?

Pendant un moment j'ai cru qu'il allait me consoler ; me dire que je n'étais pas si gros que ça et que j'étais parfait à ses yeux (il n'y a que de la pure amitié entre nous, ne vous inquiétez pas) ; et alors je sourirai et tout redeviendrait comme avant.

Mais non.

— Tu n'as pas vu mes abdos, toi on dirait, dit-il en faisant rouler ses muscles sous le léger pull qu'il porte. Je suis aussi fort que n'importe quel bodybuilder.

Attention, ta tête et tes chevilles vont enfler et tu ne pourras plus sortir de ma maison jusqu'à ce que je t'ai assommé avec quelques coups bien placés (et comme ça tu deviendras aussi petit et ainsi tu exauceras mon vœu à ma place — tu te rappelles de la discussion qu'on a eue il y a quelques jours, j'espère !)

Ses lèvres s'affaissent quand il me voit toujours aussi figé qu'une statue de cire.

— À quoi tu penses, Layl ? Ta tête semble vouloir exploser tant, sous ta petite caboche, tu réfléchis à cent à l'heure.

C'est bien, me souffle ma conscience. Il commence à reprendre ses habitudes d'antan. Un peu plus et il redeviendra ton Ann', ton héros, celui que tu aimais le plus au monde. Faudrait juste qu'il continue sur cette voie.

— J'me dis que t'as énormément changé, depuis, je réponds.

Il allait sourire mais le manque de sentiments dans ma voix lui a dû faire rendre compte que quelque chose clochait — pitié, dis-moi ce qui ne va pas et console-moi comme tu le faisais si bien quand j'étais petit.

— Que ... (je bloque ma respiration) Qu'est-ce qui ne va pas ? il dit en me regardant étrangement — anxieusement.

Ce que j'ai oublié par contre, c'est qu'à chaque fois je craquais devant Ann', même je me jure à moi-même de ne rien lui dire — ce que j'essaye de faire maintenant.

Je mords ma lèvre supérieure aussi fort que possible et le goût du sang qui envahit ma bouche me donne la nausée.

J'ai hoché négativement la tête avant de remonter dans ma chambre. Début de migraine. J'ai... mal au ventre, à la tête, aux yeux, aux muscles ; partout.

Putain, mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?

J'entends Ann' crier depuis les escaliers qu'il dévale, j'en suis sûr en courant comme si sa vie en dépendait.

Les marches escaliers ne m'avaient jamais paru aussi longues. Et jamais je n'aurai cru que désormais, je haïs Ann' pour m'avoir laissé tomber, en allant je-ne-sais-où faire le tour du monde. Pendant ces dix années (ou presque) il m'avait manqué, et maintenant qu'il est revenu, pourquoi je ne veux plus le voir ? 


Ann', je sais comment est arrivé à ma hauteur, m'a plaqué contre le sol violemment (et j'ai entendu ma tête s'éclater fort elle-aussi) et m'a dit (crié plutôt) :

— Mais putain, c'est quoi ton problème ! Neuf ans qu'on ne s'est pas vus, et le jour où je rentre, tu veux plus me voir ? Dis-moi, s'il te plaît pourquoi tu veux plus me voir ! C'est à cause de ce que je t'ai dit sur Skype, hein ? Si c'est ça je suis vraiment vraiment vraiment désolé ! Sur le coup, je ne sais pas, j'aurais tant voulu être là à tes côtés quand c'est arrivé ! On serait restés tout seuls dans ta chambre ou la mienne, je te parlerai de tout et tu m'écouteras parler de tout, ensuite, ce sera à toi de dire ce que tu veux et moi j't'écouterai parler de ce que tu veux. On regardera des films et on se lèvera tard le matin, défoncés par la nuit blanche.

J'ouvre les yeux un peu trop brusquement ; Ann' est au-dessus de moi, les yeux larmoyants. Puis, juste à côté, des trucs noirs qui bougent. Je n'ai jamais vu ça auparavant. Les cercles noirs s'agrandissent de plus en plus, et je me sens pâteux, tout pâteux. Je ne sens plus mon corps, et, peu à peu le noir m'engloutit.

— Layl ? Layl !

Pas totalement, non, je suis toujours là. Je ne regarde plus, j'entends encore Ann' qui pleure et tout à coup, je me sens affreusement coupable de l'avoir ignoré alors que lui il voulait juste me parler, comme avant — même si il s'y prenait mal.

Alors quand la fin s'est approchée, je l'ai accueillie avec grand plaisir.

(c'est bien fait pour moi)

ce que le soleil doit à la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant