5. Le journal intime

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Jacques et Camille étaient poursuivis par l'agent Marcquin. L'agent Marcquin venait souvent surveiller l'orphelinat, Camille le savait bien. C'était un jeune homme, il avait une petite trentaine d'années. Et, il courait vite, mais, ça, elle ne le savait pas. L'espace entre le poursuivant et les poursuivis ne cessait de rapetisser. Jacques eut alors la bonne idée de se planquer dans un bac à ordure au croisement de la rue des Acacias et de l'avenue Napoléon. L'agent passa devant le bac, jeta un rapide coup d'œil à l'intérieur, si rapide qu'il n'aperçut pas les deux personnes recroquevillées dans les ordures puantes.  Lorsque l'agent eut disparut, ils s'extirpèrent du bac.
 "Oh, je vais puer pendant des années après ça !", gémissait Jacques. Camille, elle était bien trop occupée à chercher le carnet noir dans les ordures pour se plaindre ou répondre. Elle le retrouva, entre des épluchures de pomme de terre et des fanes de radis. Le fantôme épousseta la couverture. Par dessus son épaule, Jacques dit :
 "Qu'est ce que c'est ?
 -Ça ne te regarde pas. C'est à moi.
 -Je vais te croire !
 -Bon, d'accord, ce n'est pas à moi. C'est pas une raison pour que tu le lises ! Et puis, je comptais le lire seule, c'est sur MA mort qu'on enquête, pas la tienne ! Allez, bas les pattes !" Camille rangea le journal et entendit Jacques marmonner quelque chose. Ils entendirent alors des bruits de pas. L'agent revenait ! Jacques se précipita dans la direction opposée et fit signe à Camille de venir. Celle ci s'approcha. L'agent Marcquin passa et retourna en grommelant vers le commissariat. Camille remarqua qu'il était brun.

Lorsqu'elle fut seule, Camille sortit le carnet de sous son manteau. Elle s'installa contre le rocher et commença sa lecture. Mais, ce fut seulement à la fin qu'elle trouva ce qui l'intéressait. L'encre était fraîche.
 "Le 4 avril 1893.
 Orphelinat : suicide ou meurtre ? La petite Camille Brunel, 12 ans, pensionnaire de l'orphelinat Claire-Falaise, a été retrouvée morte à midi, sur la plage du Rocher. "Elle n'avait aucune raison de se suicider, elle paraissait heureuse !", affirme Sœur Thérèse. Je ne sais pas quoi faire. J'ai bien peur que cela ne ternisse l'image de l'orphelinat et provoque l'affolement. Si un meurtrier rôde dans les parages, l'orphelinat fermera. Moi et les autres policiers préférons mettre tout ça sur le compte du suicide. Nous enquêterons discrètement, pas question de laisser ça de côté ! Mais, il y a très peu d'indices. Cela risque d'être très dur."  
Camille referma le journal. Le jour se levait. Elle avait tout lu, et c'était un journal intime. Mais bon, la vie du commissaire n'était pas très intéressante. Alors, comme ça, ils avaient peur pour l'orphelinat ? Ça pouvait se comprendre. Camille s'étira et se leva. Il faisait jour. Déjà, autour du bâtiment au toit d'ardoise, on s'activait. Les plus grandes filles aidaient mademoiselle Andine à étendre le linge pendant que les plus petites cueillaient les carottes, les radis et la laitue dans le potager. Les garçons faisaient des réserves d'eau à la mare. Les moutons étaient sortis et broutaient l'herbe humide de rosée. Camille regardait avec mélancolie ce petit manège qu'elle aussi avait effectué tous les matins, de son vivant. De son vivant... Se dire ça l'énervait au possible. Au loin, elle aperçut Jacques qui s'approchait. Il salua Sœur Thérèse et descendit sur la plage. Camille alla le rejoindre.
 "Alors, le journal ?
 -Rien. Inintéressant.  
 -Mais, tu sais, la biographie de Émile Rodin m'intéresse beaucoup... pourrais-je le lire ?" Camille lui éloigna le journal de la vue en faisant une petite mimique.
 "Battez les pattes Jacques Ortonn ! La vie de Émile Rodin ne vous intéresse nullement et doit rester privée !, lança Camille.

Le jeune homme se pencha vers elle.

 "Fais la gentille fille, donne moi ce journal...", susurra Jacques. Un instant, Camille fut effrayée. Puis, elle éclata de rire et courut jusqu'à la ville, poursuivie par Jacques. Ils riaient comme des bossus.

L'Affaire BrunelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant