1. Trop près du bord

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Au matin du 4 avril 1893, Camille s'éclipsa à pas de loups de l'orphelinat. Toujours sur la pointe des pieds, elle fit crisser les graviers et pria pour que personne ne l'entende. Lorsqu'elle fut sortie du domaine, elle se retourna et regarda le triste bâtiment de pierres grises au toit d'ardoises. Le vent soufflait si fort que l'adolescente devait lutter pour avancer. De là où elle était, elle pouvait apercevoir les champs à l'est de l'orphelinat, les bois de conifères à l'ouest et, derrière elle, elle entendait le bruit des vagues qui se fracassaient contre la paroi rocheuse de la falaise. Camille écarta ses cheveux de son visage et courut vers le bord. Là, il y avait un grand rocher derrière lequel Camille aimait bien s'appuyer pour scruter l'horizon. Il y avait parfois des bateaux, loin, très loin, aussi petits que des figurines pour les enfants. Elle passait des heures à les regarder, jusqu'à ce qu'ils disparaissent ou jusqu'à ce qu'on l'appelle. C'était souvent sa meilleure amie, Carline, qui sortait et allait la chercher.
 Camille se leva et se posta devant la falaise. Les pans de sa robe verte l'entrainaient vers le vide, poussés par le vent. L'adolescente ramena une mèche de cheveux derrière ses oreilles et s'assit sur le bord. Derrière les nuages gris, le soleil montait dans le ciel. Il était environ 6 heures 20. A l'orphelinat, les enfants les plus matinaux étaient sur pieds à 6 heures. A 6 heures 15, tout le monde devait être debout. De toute façon, avec le bruits que faisaient les autres pensionnaires, on était obligé de se réveiller. Camille dormait entre Tiphaine Beauchan et Carline Montaine. Alors que Tiphaine se levait aux aurores, avant même le soleil, Carline ronflait jusqu'au plus tard et somnolait sur pieds jusqu'à 10 heures.

Camille se leva. Ça faisait trop longtemps qu'elle était là, il fallait qu'elle rentre. Elle commençait à marcher lorsque son regard fut attiré par quelque chose sur la mer. Un bateau ? Elle ne le distinguait pas assez bien. Elle alla si près du bord que son pied dérapa sur l'herbe glissante. Elle eut le souffle coupé, mais, se rendant compte qu'elle n'était pas tombée, elle approcha encore un peu. Une pichenette aurait suffit à la faire basculer. De nature prudente, elle recula un peu, juste un tout petit peu. Ses pieds n'étaient qu'à un ou deux centimètres du bord. Elle pouvait presque distinguer l'étrange forme sur l'eau.. Elle n'avait qu'à avancer encore un peu... Elle plissa les yeux... Et le drame arriva. Elle sentit une pression dans le dos. Avant qu'elle n'ait pu se retourner, ses pieds glissèrent et son corps bascula dans le vide. Sa robe s'agitait désespérément de tous les côtés, ses cheveux lui fouettaient le visage. Son cœur  battait à cent à l'heure, mais, rien à faire, elle chutait. Elle ferma les yeux, s'attendant à ce qu'un bel homme la sauve en la prenant dans ses bras, ou, du moins, s'attendant à se réveiller, dans son lit, avec les ronflements de Carline... Mais il ne se passa rien. Camille sentit un violent choc, mais, ce fut si rapide qu'elle n'eut même pas le temps de s'en rendre compte.

L'Affaire BrunelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant