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L'homme regardait le plafond blanc d'origine, devenu verdâtre et sur lequel devaient proliférer un bon tas de bactéries et de champignons, au vu des tâches sombres qui ornaient chaque coins, avant de descendre un peu sur les murs de la pièce. Il ne voulait croiser les yeux son interlocuteur.

- Monsieur Mowe. Pouvez-vous répondre à mes questions ?

- Non.

L'homme se balançait sur sa chaise, d'avant en arrière avec un certain rythme, regardant tantôt en haut, tantôt sur les côtés, vers la fenêtre opaque d'où provenait une faible lueur, indiquant qu'il faisait encore jour dehors. Ca sentait la pourriture. L'odeur atroce lui remontait dans les narines, avant de lui prendre tout le tube respiratoire, comme celle d'un poisson qu'on aurait laissé quinze jour à l'air libre.

Il toussa pour tenter d'éliminer les reflux nauséabonds. Tentative qui s'avéra inutile. Ses yeux le piquaient, il avait beaucoup de mal à parler tellement sa gorge était irritée.

- Monsieur. Etes-vous avec moi ?

- Non. Je veux partir, lança-t-il d'une voix rauque.

- Vous ne pouvez pas. Sauf si vous vous montrez un peu plus enclin à la discussion. Et à ce moment, je pourrais peut-être faire quelque chose pour vous faire sortir d'ici. Vous ne voulez pas ? Imaginez-vous, assis sur un banc, dans un parc, entouré d'herbes folles et de gamins qui jouent à la balançoire, qui rient ? Le chant des oiseaux qui vous paraît comme une douce mélodie à vôtre oreille ? Vous n'en voulez pas ?

- Je veux sortir.

Il entendit l'homme en face de lui s'accouder sur la surface en pin de son bureau. Il sentait son regard perçant braqué sur lui, comme les feux des projecteurs sur une star de cinéma. Sauf qu'ici, il n'y avait ni strass, ni paillettes. Ni même de quoi vivre proprement.

Il baissa la tête, et laissa son regard dériver sur tout, tout sauf sur le type en face de lui. Il observa ses vêtements qu'il portait depuis quelques jours déjà. Il puait la transpiration. Il frotta ses mains rudes comme du cuir, contrairement aux temps de sa jeunesse, ainsi que ses longs doigts usés et méchamment entaillés, qui présentaient un nombre incalculables de plaies à vif. Ses mains le faisaient souffrir. Terriblement. En abaissant un peu plus les yeux, il put apercevoir les poils drus de sa barbe sombre qu'il n'avait pas pu raser depuis ... Des jours ? Des semaines ? Le temps était devenu chose abstraite, ici.

Il se racla la gorge, se demandant quand allait bien se finit cet entretient. Il était à bout de forces.

- Monsieur. Vous rappelez-vous le lieur de vôtre naissance ?

- Est-il possible de se rappeler de ces choses-là ? A cet âge ?

- Vous savez très bien ce que je veux dire, monsieur. Et moi, je sais que vous êtes très intelligent. Ca fait un bout de temps que l'on travaille ensemble, n'est-ce pas ? On dirait presque de vieux amis ...

Le patient cracha un épais molard, visqueux au possible, juste aux pieds de son interlocuteur qui ne se déplaça pas d'un pouce.

- Je sais que vous êtes du Gouvernement.

- Je vous demande pardon ?

- Allez ... De vieux amis, vous dites ? Alors vous pouvez bien me dire ça, non ? Après tout ce temps ... Répondit-il tout en scrutant le plafond une énième fois.

L'homme d'en face ria de sa grave voix.

- Très bien. Vous me dites quelque chose, et je fais de même, ensuite.

Le patient eût une mimique de haine sur le visage, au niveau de la bouche. Ses muscles se contractèrent tout seuls, tant il ne pouvait exprimer le fond de sa pensée. Et Dieu sait qu'il en avait envie, pourtant.

- Où suis-je ? Demanda-t-il.

- Où êtes-vous né ?

Il secoua la tête.

- Une autre question.

- Très bien ... Où avez-vous grandi ?

Il ferma les yeux, sentant quelques larmes remonter. Il secoua la tête une seconde fois.

- Vous voulez jouer, monsieur Mowe. Jouons !

- J'ai grandi ... Autre part. Je vous en ai déjà parlé, des dizaines, si ce n'est pas des centaines de fois.

- Faux. Vous avez passé toute vôtre jeunesse au milieu des vignes et des champs, dans le midi de la France. A l'endroit même où vous êtes né, figurez-vous.

Plus il parlait, plus le ton de sa voix montait.

- Non, non, non ... Le patient se plaqua les mains contre les oreilles.

- Fils d'agriculteurs. Marie et François Mowe. Toute vôtre vie, vous êtes restés dans cette même ville, entouré de ces mêmes personnes. Vous n'avez même pas quitté le territoire français !

- Faux, faux, faux ... Vous le savez, mais vous m'empêchez de parler ... Je le sais, je le sais !

- Vous savez, monsieur Mowe ? Vous n'êtes personne. Votre famille vous a confié entre nos mains car vous présentez de grands troubles psychologiques. Vous n'êtes même plus l'ombre de vous-mêmes ! Vous n'existez même plus aux yeux de la société. Vos n'êtes rien.

Le patient remonta ses genoux jusqu'à sa tête et se referma sur lui-même.

- Non, non, non ... Faux, faux de faux ! Vous mentez ! Laissez-moi sortir, je ne dirais rien, promis ! Je ferez tout ce que vous m'ordonnez de faire, je serais à vôtre botte, mais je veux quitter cet endroit, s'il vous plaît ...

Il ne retenait même plus ses larmes, qui dévalaient la pente gonflée de ses joues avant de se perdre dans la broussaille insoumise qu'était sa barbe.

Il se releva d'un mouvement brusque, ainsi il fût rapidement cerné par deux grands malabars qui lui tenaient chacun un bras.

- Nous reprendrons la séance demain matin.

- Non ! Non je veux partir !

- Pas tant que vous ne m'aurez pas laissé entrevoir le fin fond de vôtre esprit déboussolé, mon vieux. Et vous resterez entre ces quatre putains murs durant le restant de vos jours, s'il le faut. Et quand vous finirez par crever la bouche ouverte en repensant à ce que vous auriez pu faire de vôtre vie, un autre frapadingue vous remplacera. Et le monde dans lequel nous vivons, car il n'y en a qu'un, continuera de tourner. Sans vous, vous et vos croyances infondées. Vous et vôtre minable existence. Car vous n'êtes rien, monsieur Mowe. Plus rien, désormais.o

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