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Il avait balancé son gros sac dans le coffre étriqué de la voiture pendant qu'elle montait à l'avant.

Il alluma le moteur en un gros vrombissement.

Il n'osait pas la regarder. Il avait les bras tendus, les mains crispées sur le volant râpeux. Il voulait parler, mais par où commencer ?

Il avait pourtant mille questions, auxquelles il lui fallait mille réponses.

La secrétaire ne l'avait pas cru quand il lui avait dit qu'il ne connaissait pas Emie. A présent, lui-même doutait de sa parole. Il cherchait, trifouillait dans les moindres recoins de sa mémoire, les repas de famille, les fêtes d'anniversaires, les cérémonies ... Rien, rien ne lui revint.

Sa grande tante Clara était morte avant sa naissance, et aucune autre ne fut amenée à prendre sa place. Il en vint jusqu'à se demander si sa propre enfance n'était pas que du carton mouillé.

Gêné dans l'instant, il alluma rapidement le poste radio qui bien évidemment captait mal, comme d'habitude.

Elle le fixait. Lui, tâchait de regarder droit devant, se concentrant sur la route déserte.

Pour tenter de créer un minimum de convivialité, il attrapa un paquet de bonbons à la violette qui semblaient dater ... De quelques temps, déjà. Peu importe, il devait bien commencer par quelque chose. Et l'odeur de sucre et de violette qui vint lui embaumer les narines n'était pas déplaisant.

Il le lui tendit.

Elle en piocha un très délicatement, comme si chacun de ses gestes était calculé et millimétré.

Alex le reposa lourdement à terre.

Pas un merci, pas un bonjour non plus. Déjà qu'il n'était pas forcément partant pour l'accueillir, alors un minimum de politesse ne tuait pas des gens, non plus !

Il la vit griffonner sur son carnet d'un geste souple du poignet.

Il se reconcentra sur le virage qu'il allait prendre, quelques mètres plus loin.

Elle lui pinça le bras.

Sérieusement ?

Il tourna la tête, après avoir dépassé le mouvement sinueux que dessinait le chemin.

Il vit son épaisse chevelure sombre, sur laquelle apparaissaient quelques filets de cheveux blancs. Pas mal, pour une femme de son âge. Pas mal du tout. Ses rides ont, malgré tout; déjà bien creusé les pores de sa peau. Ses yeux bruns en envouteraient plus d'un.

Si Alex aurait dû imaginer une malade mentale, disons que ce n'est pas le profil type qu'il décrierait. Pas de cheveux en bataille, pas de lunettes cul-de-bouteille. Pas de rire tyrannique non plus. D'ailleurs, il n'a jamais entendu le moindre son de sa voix.

Elle lui indiqua une page de son carnet, qu'il put lire aisément.

« De mon temps, les hommes maniaient l'art de la conversation avec autant d'aisance qu'ils me faisaient l'amour. »

Alexandre en resta bouche bée. Etais-ce une blague ?

Il fronça les sourcils et secoua vigoureusement la tête. L'image qu'il venait de s'imaginer ne lui plaisait vraiment, mais vraiment pas.

Elle gratta encore la plume de son stylo sur ses pages usées.

« Je ne vous connais pas encore assez bien pour affirmer mon hypothèse, mais si la première compétence c'est dégradée chez les nouvelles générations, je ne doute pas un seul instant que la deuxième ait fait de même. »

Oui, ça devait vraiment être une blague.

Alexandre fronça les sourcils de plus belle, tâchant de se concentrer sur le chemin à prendre. Déjà que le trajet semblait insupportable, alors autant ne pas se tromper de route !

La voiture émanait une sale odeur de carburant, ce qui fit tousser Alex.

 "Pourvu que ce vieux tas de ferraille nous mène jusqu'à l'appartement !" pensa-t-il, anxieux. Il ne manquerais plus qu'il finisse la journée seul avec cette femme !

Il jetait régulièrement de rapides coups d'œil pour surveiller sa dite "tante", qui ne faisait que regarder le paysage.

"Mon dieu ! Pensa Alex. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'elle ?

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