La nuit arrivait. Jusque-là, rien d'anormal. Mes camarades se lancèrent des regards emplis de toute l'intelligence dont ils faisaient preuve. C'est-à-dire pas tellement. Ce n'était pas grave. Je n'avais pas choisi ces trois hommes pour leurs traits d'esprits ou leurs discours sur la condition humaine. Bien au contraire, je les avais embauchés avant tout pour leur capacité à fracasser des crânes sans poser de question. Leur mission était simple : s'assurer que moi et mes marchandises arrivâmes à destination. Ils étaient là pour m'escorter et me protéger. L'exposition universelle, organisée à la capitale, loin au nord, était pour moi l'occasion rêvée de faire des affaires. Hélas, la route était longue, et nous avancions lentement, la faute à ma charrette remplie de bibelots. Je voulais accélérer la marche, mais mes trois employés refusaient de faire un pas de plus, une fois que le soleil se trouvait sur l'horizon.
Bref, la nuit arrivait. Les mercenaires se stoppèrent, et installèrent leurs tentes. Ils firent un feu, allongèrent leurs jambes éreintées sur le sol.
Le premier, Antoine, commença la longue et cliquetante tâche d'enlever son armure. Quatre-vingt kilos de plates et de mailles le protégeaient en toute circonstance. Quand je l'eus interrogé sur sa capacité à avancer tout en portant un tel fatras sur le dos, il répondit que, de toutes façons, il n'allait nulle part sans cette carapace. Par conséquent, il fallait faire avec.
Le second, Puttard, profita de l'arrêt pour sortir son set de chimie. L'homme utilisait son temps sur la route pour zigzaguer entre les buissons, cueillant des fleurs et des plantes. Le soir venu, il écrasait, cuisait, et distillait les substances, préparant des poisons qu'il enduisait sur ses flèches.
Le troisième, Gritus, s'assit en tailleur, et sortit son grimoire. À l'aide d'une plume d'oie, il y griffonnait des incantations et autres sortilèges dévastateurs. En cas de pépin, il n'avait qu'à sortir le livre, murmurer les noires paroles, et regarder la mort et la destruction pleuvoir sur ses ennemis.
L'on pourrait se demander ce qui avait pu amener trois individus aussi différents à se regrouper. Qu'est-ce qui pouvait bien unir un mastodonte d'acier, un apothicaire agile et un sobre sorcier, pour qu'ils fassent route ensemble comme une vraie équipe ? Un trait de personnalité commun : la haine de l'oisiveté. Les trois mercenaires rêvaient d'aventures excitantes, de relever les défis d'un monde sauvage et dangereux. Parfois, c'était un avantage. Par exemple, si un marchand quémandait une escorte, ils sautaient sur l'occasion et partaient sur les routes. Mais la plupart du temps, c'était un inconvénient. En effet, si après deux semaines de voyage avec ce même marchand, aucune difficulté n'était apparue, ils commençaient à s'ennuyer. Tout d'un coup, ils éprouvaient alors le besoin de dire « adieu » à leur employeur, non sans avoir au préalable prélever un paiement sur les bibelots qu'ils gardaient jusque-là.
Afin d'assurer mon bien, il me fallait donc garder leur intérêt, et je choisis pour cela une méthode qui avait fait ses preuves, et pouvait, si j'en croyais mes calculs, les garder mille-et-une nuits.
— Alors, fis-je, du haut de mon mètre-quatre de hobbit bien portant, quelle histoire voulez-vous entendre ce soir ?
Ils se lancèrent le même regard idiot. La formule était purement rituelle. La clé, pour garder l'attention d'une audience, était avant tout la surprise. Leur promettre une histoire, pour leur en raconter une autre.
— Allons, messieurs, continuai-je. Qu'est-ce que ce sera ? Voulez-vous que je vous conte l'histoire d'Idris, le sorcier archéologue psychotique ?
Gritus me lança un regard froid. Il trouvait cette nomination offensante pour la communauté des mages et l'image de la magie.
— Bon, dans ce cas, que diriez-vous d'entendre les aventures de Claudius, patron de l'ordre des maraudeurs et triomphal renverseur du seigneur Panus ?
Antoine, d'un léger mouvement des narines, me fit savoir son mécontentement. Il considérait que l'ordre des maraudeurs avait trahi les petites gens et se contentait de jouir des privilèges d'élites qu'ils s'étaient octroyés.
— Bien, bien, bien,... Et si l'on partait plutôt sur Fathis Ulven, l'assassin que la destinée fit champion d'une nation décadente ?
Puttard ne fit rien pour me démontrer son désaccord. En fait, il se foutait royalement de ce que je racontais.
— J'dois dire, m'informa Antoine, que j'ai pas envie de me prendre la tête avec vos histoires.
— C-comment ça, bégayai-je ?
— Y'a que c'est toujours la même chose. Ça parle de mysticisme et de civilisations perdues, ou d'honneur et de pouvoirs divins, ou encore de politique et de chocs de cultures. Moi, pour une fois, j'aimerais entendre une histoire simple. Celle d'un mec qui arrive, dézingue tout le monde avec son épée, et se tire tranquille.
Quelque peu décontenancé par la demande, il me fallut une bonne seconde pour me reprendre. Je partis d'un rire de conquérant, avant de lever un doigt vainqueur vers Antoine :
— Si c'est ce que tu désires, c'est ce que je t'offrirai. J'ai une histoire de ce genre-là. Que dis-je ? J'ai l'histoire même de ce genre-là ! Car, vois-tu, je vais te narrer les aventures d'un homme qui, partout où il allait, sortait triomphant de ses batailles et repartait en toute humilité. Cet homme était si ennuyeux, si simple et si rigide, qu'aucun conteur n'a réussi à forger de légendes, malgré ses innombrables exploits ! Alors, installez-vous, messieurs, et laissez-moi vous conter les aventures de cet homme, un simple mercenaire, qui se nommait : Stivassian de la Thêverie.
YOU ARE READING
Les histoires au coin du feu du marchand hobbit
FantasyLes histoires au coin du feu du marchand hobbit s'en allant marcher au marché pour marchander Flatton, un marchand hobbit, conte les aventures de Stivassian de la Thêverie, un mercenaire qu'il a rencontré dans sa jeunesse.