Chapitre onze: Poursuites scolaires

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L'ambiance de confrontation de la maisonnée n'était pas toujours de mise. Certes, la plupart du temps, Stivassian et Ellia se disputaient. Le premier souhaitaient retrouver son rythme quotidien, qui n'impliquait pas de rester allongé une majeure partie de la journée. La seconde trouvait qu'il était plus sage qu'il se repose. Ils se chamaillaient, se hurlaient divers noms d'oiseaux, puis Ellia levait la main, et Stivassian ne pouvait que plier, face au pouvoir déployé.

Comme je le disais, ce n'était pas toujours ainsi, seulement dans les « bons jours ». Il arrivait parfois, qu'à forces d'engueulades et de cris stridents, ils en aient tous deux assez. Épuisés par la manœuvre, ils se retiraient dans le mutisme et s'ignoraient l'un l'autre. Ellia s'enfuyait dans son jardin, Stivassian se réfugiait sous une couette. Ils pouvaient demeurer ainsi, sans s'adresser la parole, pendant une semaine entière. Leurs échanges n'étaient alors que des grognements et des ordres secs, lancés durant le rituel des soins, seul période de trêve disponible.

Ces moments de pause entre les disputes ne me plaisaient guère. Bien que le silence était appréciable, pour une fois, la tension entre les deux personnages était trop forte. Comme si les reproches et les non-dits créaient un épais brouillard, dans lequel je naviguais la gorge serrée. Durant ces périodes, je me glissais hors de mon lit aux premières heures, et m'enfuyais dans la cité impériale.

La plupart du temps, je gambadais dans l'obscurité quasi-totale. Les nuits étaient longues, et le petit matin se faisait attendre. Où que j'aille, je découvrais des rues désertes et froides. Les étoiles au-dessus de moi n'étaient que des lucioles fugaces, qui ne répandaient aucune lumière. La lune se transformait en un astre évanescent, tantôt derrière un nuage, tantôt si pâle qu'on la croyait à l'agonie. Durant ces instants, je sentais que nous étions au cœur de l'hiver. Nous n'avions pas besoin de neige pour cela, ni même du froid qui s'immisçait de plus en plus dans nos vies à tous. Cela ne demandait que l'attente, triste et funeste. La cité s'était gelée dans une expectative morbide, dans l'espoir d'une lointaine chaleur qu'on avait connu, qu'on avait cru connaitre. Mais avant elle, il y avait un monde de glace et de noirceur, il y avait un solstice où tous pleureraient dans la frayeur. À cette pensée, je tremblai d'effroi.

Mes pas de marcheurs nocturnes s'interrompaient souvent, à la vue de quelques maisonnées qui s'illuminaient. Les boulangeries s'affairaient, pour préparer le pain. Par après, l'on voyait jaillir des commerçants, marchant le dos courbé vers le marché. Une garde fraîche, reposée, commençait la patrouille d'usage. Les tailleurs de pierre inspectaient les sols et façades, et se mettaient au travail. Enfin, une cloche sonnait quelque part près du palais, indiquant le début d'une messe. Quand la sphère froide et désincarnée que l'on nommait soleil se levait, la vie était déjà là, et chacun vaquait à ses occupations. Le quotidien était un outil puissant, peut-être même le seul apte à servir de remparts face aux mauvais esprits de l'hiver.

Moi-même, je choisis de développer quelques habitudes. Ce n'était pas tout de se réfugier en ville pour l'hiver. Il me fallait mettre ce temps mort de ma carrière à contribution. Ainsi, chaque matin, ma ballade terminée, je me rendais à la bibliothèque. Je devais grimper le long d'un sentier abrupte, fait de briques blanches, menant vers le quartier du palais impérial. Là, j'arrivais sur le parvis de l'immense cathédrale, ses rosaces et ses statues de saints me surplombant. Je n'allais pas loin, comme en traversant la place, l'on arrivait à l'entrée de la bibliothèque. Comparé à ses voisins, l'édifice était d'une petitesse éhontée. Je cherchai des raisons à cela. Ma première hypothèse était que les humains étaient un peuple d'ignorants incultes et illettrés. Je rejetai cette pensée, comme elle était pleine d'un racisme dans lequel je ne me reconnaissais pas. De plus, l'empereur avait largement investi dans l'enseignement, et de nombreuses classes gratuites d'éducation populaire pullulaient dans la cité impériale. Ma seconde hypothèse était que cet état pitoyable était dû à la présence de la cathédrale. La religion, haut lieu d'obscurantisme et de déni du savoir, ne pouvait que voir d'un mauvais œil cet endroit consacré au partage des connaissances. Je fus détromper un matin, en arrivant, par un chariot empli de livres, conduits par des moines. Plaisantant gaiement, les hommes de foi venait offrir ces trésors à la bibliothèque, comme ils le faisaient chaque mois. Dépité, en absence d'autres hypothèses, j'interrogeai la responsable du lieu, une charmante jeune fille affable et toujours souriante.

Les histoires au coin du feu du marchand hobbitWhere stories live. Discover now