Chapitre huit : Par delà l'abstrait

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J'étais peut-être un hobbit, un être que la corpulence prédisposait plus pour l'infiltration que le passage en force, mais ça ne m'empêchait pas de tenter ma chance. Fort heureusement, j'avais avec moi un grand-père borgne, militaire de formation, et vétéran de la guerre. Les butors gardant l'accès aux quartiers des gladiateurs ne firent pas le poids. Ils opposèrent à ma verve et mes gesticulations leur montagne de muscles, le grand-père les mit à terre en un instant. Nous pénétrâmes dans la cage où ils avaient amené Stivassian. Le gardien des geôles, déjà là, nous regarda de son œil fatigué. Je parlai :

— Écarte-toi de mon ami !

Surpris, il fit un pas en arrière, me laissant la place. Je m'approchai et m'agenouillai à côté du corps amorphe et exsangue. Je passai ma main sur son nez, penchai mon oreille sur son torse. Ni souffle ni battement. Pas inconscient, mais mort. Je posai mes doigts sur la plaie, d'où dépassait encore l'éclat funeste. Je sentis le sang, froid, indiquant que c'était trop tard.

— Mes condoléances, maître hobbit, fit mon compagnon, l'air désolé.

— Une fois que vous aurez fini, s'écria le gardien, vous pourriez peut-être nous laisser ? Je dois préparer le corps pour la fosse commune.

Je voulus rétorquer, mais, dans ma confusion, je ne trouvai rien. Pire que cela, je me mordis la langue, ma bouche balbutiante à la recherche de mots. Finalement, comprenant la terrible vérité, je me tournai vers le grand-père, afin de lui annoncer que nous partions :

— Soulevez-le.

Il fut surpris, mais il n'était pas le seul. Lorsque j'entendis ma voix, je réalisai qu'elle ne prononçait pas ce que je lui avais ordonné. Je tentai à nouveau une parole, et découvris d'autres mots dans ma bouche :

— Dépêchez-vous, voyons ! Nous n'avons pas beaucoup de temps !

Mes jambes se dressèrent, je fus debout, sans que je ne le veuille, mes mains indiquant à mon compagnon de prendre Stivassian et de me suivre. Le grand-père obéit, perplexe, et nous nous lançâmes dans les couloirs. Mes pieds, déterminés à arriver jusqu'à destination, refusaient de m'obéir. Je concentrai toute ma volonté sur l'arrêt, voulant comprendre ce qu'il se passait. Mais c'était vain, mon corps ne m'appartenait plus. Je cherchai une explication, n'importe laquelle, et une vague d'angoisse saisit mon esprit. J'étais prisonnier, à l'intérieur d'un vaisseau qui n'était plus mien. Je me concentrai, pour réaliser qu'une sensation particulière venait de mon estomac. Le sentiment était étrange, et pourtant, je l'avais déjà ressenti. C'était quelque chose de familier, qui m'avait pris plus tôt dans la journée. Je me souvins : la ceinture ! Quand j'avais touché ce maudit objet, j'avais eu la même impression au niveau du ventre. Je compris alors : j'étais victime d'un sortilège, mon corps n'étant qu'une créature obéissant à la volonté d'un autre.

J'allais ainsi dans la cité impériale. Mes bras s'agitaient, écartaient les badauds. Je hurlais des avertissements pour qu'on nous cèdent le passage. La foule se bougeait, contemplait le hobbit gesticulant, et le vieillard portant un corps sur ses épaules. Au fond de moi, je savais que j'avais une destination précise. Ce fut après des tours et des détours que nous y parvînmes. Nous étions au pied du mur soutenant le palais impérial. Nous faisions face à une maison de maître, ses formes esthétiques découpées dans la lumière du soleil couchant. Une fenêtre ouverte à l'étage menait à un balcon. Je hurlai dans cette direction, toujours sans savoir ce que je faisais :

— Vite, dame Ellia !

Je n'avais aucune idée de qui était cette fameuse dame, mais le sortilège me disait que je devais lui parler au plus vite. Elle vint, exaspérée par le cri, l'interrompant dans une tâche qui était sans doute de la plus haute importance :

Les histoires au coin du feu du marchand hobbitWhere stories live. Discover now