Chapitre dix : Vint le froid

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Quelques semaines passèrent à la cité impériale. Dame Ellia était tant accaparée par les soins de Stivassian que je ne la voyais guère. Elle m'avait autorisé à rester dans sa demeure, et d'aller à ma guise. Je pris sur moi de m'occuper de quelques tâches journalières, afin d'assurer le bien-être du foyer. Je faisais les poussières, passais le balais, et préparais quelques mixtures qu'un palais peu délicat pouvait apprécier comme de la cuisine. J'allais également au marché, chaque midi, et c'était à cet endroit que je me trouvais, quand j'entendis parler de l'archimage Anduin pour la première fois.

— Vous n'avez pas froid, me demanda une commerçante en me rendant la monnaie ?

— Oh, non. Mon manteau est d'une double épaisseur.

— Je veux dire... des pieds.

Je baissai les yeux vers mes deux petons poilus. En vérité, j'avais oublié que les humains n'étaient pas coutumiers de l'anatomie des hobbits. Comme je n'étais pas d'humeur à entreprendre une leçon détaillée, je répondis sobrement :

— Non, pas du tout. Ma noble espèce est particulièrement résiliente, surtout au niveau des orteils. Bonne journée à vous.

J'embarquai mon paquet, un mélange de six tartes aux fruits, chacune d'une saveur différente. J'avais accosté la marchande avec l'idée d'en prendre quatre, avant de me dire que dame Ellia et Stivassian en voudrait certainement. D'où les deux supplémentaires, pour leur frugale dégustation. J'avais encore certaines difficultés à m'adapter aux us et coutumes des humains. Cette espèce m'était bien étrange : elle ne prenait que trois repas par jour, et se trouvait pourtant en bonne santé. Un paradoxe logique pour tout biologiste.

J'allai sur le chemin me ramenant au foyer. Je zigzaguais avec maladresses entre les différents stands du marché, glissais en m'excusant entre les badauds, pataugeais sur le sol glacé. Moins marchant que patinant, je parvins à prendre la rue menant vers le centre-ville. La circulation dans la cité était difficile, depuis que le gel s'était installé.

C'était arrivé d'un coup, en une nuit glacée que j'avais passée à claquer des dents, sans comprendre. Au réveil, je découvris le spectacle. Une lourde couche de glace s'était formée sur la capitale. L'air, habituellement gris et maussade, avait pris une teinte encore plus froide. La combinaison des pierres de la ville et du givre saturait l'atmosphère d'un bleu sombre glaçant. Outre le décor désormais déprimant, le gel avait apporté son lot de difficultés pour quelques logements. La quantité de glace s'étant accumulée avait bloqué les accès de certaines maisons, condamnant les locataires à l'isolement. De plus, les places étaient désormais impraticables, les installations commerciales abimées ou détruites par le dur climat.

Heureusement, les hivers durs étaient coutumiers, dans cette région. L'empereur avait donc adapté ses forces en conséquences. Depuis la fin de l'été, des tailleurs de pierre résidaient au palais, patientant jusqu'au début des hostilités. Le moment venu, ils se divisèrent en petites équipes qui s'en allèrent dans les rues. À coups de burins et de ciseaux, ils s'affairèrent à lutter contre la glace. Leur première priorité était d'assurer la vie économique interne à la capitale. Pour les logements, la garde fit un travail grossier, mais efficace. La température ayant refroidi autant les rues que la criminalité, les soldats disposaient d'un temps libre mis à profit pour aider les citoyens pris par le gel. La tâche semblait infinie, comme chaque nuit apportait une nouvelle couche avec laquelle il fallait composer. Pourtant, en quelques jours, un simili de quotidien reprit, alors que les tailleurs bagarraient encore et toujours contre le climat. Malgré les précautions du gouvernement, il fut un pan sur lequel la ville ne put triompher, qui était la survie des plus faibles. On répertoria plus de soixante décès de mendiants, sans-abris, ou simples drilles qui revenaient à la petite heure de la taverne. Et ce n'était encore que les premiers jours. On n'osait imaginer ce qu'il adviendrait lorsque les neiges viendraient.

Les histoires au coin du feu du marchand hobbitWhere stories live. Discover now