Les histoires au coin du feu du marchand hobbit

Chapitre sept : La narration des épées

J'étais surpris par la tournure des événements. Il me semblait certain que Stivassian venait de se sortir du pétrin où on l'avait placé. Mon voisin m'apprit que non, il y avait encore un match, pour le vainqueur de la mêlée. Avant cela, on nous présenta une troupe d'artistes, jongleurs, cracheurs de flammes et dompteurs d'animaux gambadant sur la piste. J'eus alors tout le loisir d'interroger le grand-père sur la suite.

— Le dernier match est contre le grand champion de l'arène.

— Qui est-ce ?

— Un gladiateur qui a tant triomphé qu'on lui a filé un titre pompeux comme récompense.

— Et ça s'enchaîne comme ça ? Peu ou pas de repos pour le vainqueur de la mêlée ?

— Les jeux ne sont pas faits pour être justes.

Je grondai mon mécontentement, comme toute cette affaire était d'un ridicule qui aurait été comique, si les conséquences n'en étaient pas aussi graves. Néanmoins, je tentais de me rassurer en me rappelant les prouesses de Stivassian. Sûrement, il pouvait triompher. Sauf que mon voisin m'informa d'un détail plutôt important :

— Le grand champion, c'est un maître-lame, lui aussi.

— Quoi ?

— Le grand champion, c'est...

— J'avais compris la première fois, merci bien ! Mais comment un maître-lame s'est-il retrouvé gladiateur dans l'arène ?

Le grand-père haussa les épaules. Il m'informa aussi d'une autre caractéristique du grand champion. Celle-ci me fit claquer des dents et craindre pour la santé de Stivassian.

Enfin, la prestation sous nos yeux s'interrompit, sous les applaudissements respectueux de la foule. Le cor retentit de nouveau, les grilles se soulevèrent. Stivassian émergea, fraîchement nettoyé du sang de son camarade blessé. Il avança jusqu'au centre de la piste, la main serrée sur un fourreau. Je me demandais s'il avait l'intention de reprendre le même manège, de se battre sans verser de sang. Au fond, je me disais que c'était impossible. L'adversaire était trop dangereux. Il ne s'agissait pas de petits délinquants, moins combattants que bagarreurs. Cette fois, c'était sérieux.

L'annonceur leva son porte-voix et se lança dans son discours :

— Bons citoyens de la cité impériale ! Nous voila à la fin de notre journée de jeux ! Le vainqueur de la mêlée pourra-t-il tenir tête à notre grand champion ? Découvrons-le !

L'emphase ne plaisait pas à Stivassian. Il répondit à la clameur de la foule par un soupir fatigué. Il était pressé que ça se termine, pour trouver un repos bien mérité. Il dirigea son regard vers un trou béant dans le mur de la fosse. Là, le grand champion attendait. Il laissait les secondes s'écouler, la foule dans l'expectative. Dans un instant, il entrerait. Les spectateurs hurleraient, scanderaient son nom, prieraient pour la violence. C'était, habituellement, un délice pour le gladiateur. Mais pas cette fois. Aujourd'hui, il ne ferait pas attention à cette liesse. Il serait froid, concentré. Il avancerait, ferait face à son ennemi. Et ils s'affronteraient, comme deux maîtres-lames.

Il émergea de la pénombre, en un pas lent et décidé. Stivassian soutint le regard du grand champion. S'il était surpris, il n'en montra rien. C'était comme s'il s'attendait à voir la face plate, à la mâchoire proéminente, d'où dépassait deux grandes canines pointant vers le haut. Le crâne du gladiateur était rasé, excepté la ligne d'une toison noire maintenue en arrière, le tout laissant voir les nombreuses cicatrices sur la peau verte. Le torse surdéveloppé, trapu et aux muscles saillants, se terminait en deux bras puissants. Un de ceux-ci tenait l'épée du champion, une lourde lame d'acier blanc, aussi longue que son propriétaire. Tout chez le combattant criait l'expérience dans l'art du meurtre. Pourtant, Stivassian ne réagit pas, se contentant d'attendre que l'orc soit à portée.