La foule se dressa sur ses sièges, les yeux rivés vers le sable. Des grincements mécaniques retentirent, et des grilles, dans le mur entourant la piste, se soulevèrent. Nous vîmes émerger les fiers combattants. Ou plutôt les pauvres bougres. Sous-alimentés, sales comme s'ils sortaient d'une fosse à purin, ils traînaient leurs membres affaiblis par la captivité. Dans toute cette masse, on ne trouvait que deux individus avec un semblant de prestance. Le premier était gladiateur. Son torse nu arborait les muscles de sa profession, ainsi que les cicatrices. Ses mains gantés de fer tenaient ses armes, un filet lesté de plomb, et une pique au bout écarlate. Son casque intégral était ouvert, deux clapets d'acier relevés le temps de saluer. C'était un adversaire convenable, pour le deuxième vrai combattant : Stivassian.
Quand je le vis arriver, dans sa tunique verte et bordeaux, mon premier réflexe fut de bondir de mon siège. Je détachai l'épée de mon dos, paré à la jeter sur la piste. Mon voisin m'interrompit, me força à me rasseoir d'une main forte.
— Que faites-vous ?
— Je lui rends son épée, pardi !
— Votre ami est dans un sacré pétrin. Et si vous montrez que vous le connaissez, vous le rejoindrez. Restez tranquille.
L'idée d'être simple spectateur d'une telle injustice ne me plaisait guère. Je m'apprêtais à me jeter moi-même dans la fosse, faisant fi de toute prudence. Mais Stivassian m'interrompit. Il leva le bras, au bout duquel il tenait un fourreau. Le message était clair, il m'invitait à rester sur mon séant, le temps qu'il se dépêtre. Je maugréai, et j'obéis.
Les futures victimes des jeux avancèrent, jusqu'à former un amas plus ou moins aligné sous la loge des nobles. Là, l'annonceur leva son porte-voix et s'écria :
— Bons citoyens de la cité impériale ! Bienvenue dans l'arène !
Une clameur répondit à la phrase. La foule, impatiente de voir la lutte débuter, en perdait tout contrôle d'elle-même. Même le môme, non loin, se joignit aux cris, avant que son grand-père ne lui ordonne de se calmer.
— Aujourd'hui, poursuivit l'annonceur, en l'absence de sa majesté l'Empereur, nous recevons le général Siegfried !
Le susnommé leva une main en direction de la foule, en un salut mou et peu impliqué. D'où je me tenais, je discernais difficilement l'homme. Il arborait des couleurs sobres, en tons de noir et de gris, sans parure clinquante, comme soucieux de se dissimuler. Tout ce que je pouvais deviner avec certitude était sa chevelure, longue et blonde, attachée en arrière. Au titre qu'on lui prêtait, à savoir « général », je me doutais que c'était quelqu'un de très haut rang. L'annonceur coupa mon méticuleux examen :
— Nous avons également l'honneur de recevoir le duc de Framerie !
Mon cœur manqua un battement. Avec la même lassitude que le général, le duc répondit aux ovations. Celui-là m'était plus net, de sa coupe brune, quasi-rasée, à son pourpoint vermeil, serré sur sa frêle ossature, le tout brodé de fils d'argent.
— Cet homme, murmurai-je à mon voisin, qui est-il ?
— Un type de la famille royale. Par alliance consanguine, sans doute.
— Ne blaguez pas, sire ! C'est lui qui a ordonné que mon ami soit emmené !
— Que voulez-vous que je vous dise, sieur hobbit ? Même si on omet les bâtards, cette famille est trop grande pour qu'on en connaisse le moindre cousin ou petit-neveu.
Je m'agitai sur mon siège. Je ne savais rien de la famille royale de l'Empire. Je ne savais donc pas qu'elle n'avait, en réalité, plus aucun pouvoir, depuis que c'étaient les empereurs qui dirigeaient la nation. Les fonctions qu'on leur donnait étaient purement formelles, des postes dans l'administration certes prestigieux, mais maintenus éloignés des vraies prises de décisions. Ne sachant pas cela, je m'imaginais mille milliers d'ennemis pour Stivassian, devenu l'homme à abattre, le plus grand criminel de la contrée.
YOU ARE READING
Les histoires au coin du feu du marchand hobbit
FantasíaLes histoires au coin du feu du marchand hobbit s'en allant marcher au marché pour marchander Flatton, un marchand hobbit, conte les aventures de Stivassian de la Thêverie, un mercenaire qu'il a rencontré dans sa jeunesse.