Chapitre six : La plus petite once de pitié

8 2 1
                                    


Un léger calme s'éleva dans l'arène. La bataille, jusque-là intense, se dissipa. La foule mit un moment à le réaliser, mais, quand elle le fit, elle répondit par une vague de huées et de sifflets. Des insultes fusèrent de toutes parts pour Stivassian, qui venait de désarmer ses ennemis sans excès de violence, sans meurtre ou étripage superflu. Les spectateurs se sentaient dupés, peu conscients qu'une telle prestation était sans doute plus difficile que leurs habituelles éviscérations sanglantes. Dans toute cette mer de quolibets, il n'y avait qu'un seul observateur qui trouva le spectacle satisfaisant. Il applaudit même la performance, attirant par la même occasion l'attention de Stivassian. Celui-ci se retourna, et fit face au gladiateur, resté bien en retrait durant le combat.

— Impressionnant, commenta-t-il, calme et détendu.

Le mercenaire observa le visage du guerrier, cherchant une trace d'animosité. Il n'en trouva pas. À travers le casque ouvert, la seule chose qu'il notait, était l'incroyable indifférence qui lui était servi.

— Tu ne voulais pas te joindre à la mêlée ?

— Non. Je devais conserver mes forces, pour la suite.

— Tu as peur ?

— Oui. Mais pas de toi. Plutôt de la deuxième partie du combat.

Stivassian ne comprit pas. Cette deuxième partie devait pourtant bientôt commencer. L'annonceur, quelque peu confus sur la marche à suivre, se tourna vers le général. Celui-ci fit un geste las, indiquant de continuer, malgré les entorses au protocole.

— Bons citoyens de la cité impériale ! Nous avons nos deux vainqueurs ! Lequel de ces féroces guerriers triomphera contre le roi des bêtes ? Nous allons le découvrir ! Lâchez les fauves !

Une trappe dissimulée dans le sol se souleva. Un rugissement féroce retentit, les créatures heureuses de goûter à la liberté, et bientôt, à la chair humaine. Deux lionnes bondirent sur la piste, leurs gueules hérissées de crocs s'ouvrant. Elles s'étirèrent, les griffes sorties grattant la poussière. La foule trouva un nouveau souffle, une montée d'excitation. Mais ce n'était rien, comparé à ce que le roi des bêtes leur offrirait. Le lion jaillit de sa cage, sa longue et lourde crinière au vent. Il était énorme, nourri des restes des vaincus, et de ceux qui succombaient à ses assauts. Sa robe couleur sable brillait, indiquant sa vigueur de monstre. Son énorme gueule, qui m'aurait gobée tout entier sans soucis, s'ouvrit pour émettre un nouveau cri. Le hurlement se répercuta en écho dans l'arène, couvrant même la clameur qui s'y élevait.

Voyant les fauves, les quelques voyous pas trop amochés par leur confrontation prirent peur. Ils se levèrent et coururent se réfugier à l'autre bout de la piste. Certains soulevèrent leurs camarades encore mal au point, et tentèrent de rejoindre la sûreté du nombre. Voyant les marches claudicantes et mal aisées, une lionne se lécha les babines, prête à bondir. Stivassian intervint : il ramassa un bouclier, et l'envoya sur la bête. La créature hurla, quand elle reçut l'objet en pleine tête. La gueule rageuse, elle se tourna vers le mercenaire, qui criait et appelait en de grands gestes son ennemi.

— T'aurais dû la laisser faire, fit le gladiateur, à ses côtés. On aurait pu l'abattre pendant qu'elle les croquait.

— Je n'ai pas besoin de tuer.

— Quoi ?

— Donne-moi ton filet.

— Qu'est...

— Donne !

Face au ton impérieux, le gladiateur obtempéra. Stivassian saisit le filet, lesté de plomb, d'une main et amorça sa course vers la lionne. Celle-ci répondit en faisant de même, les deux adversaires se jetant l'un sur l'autre. Je craignais le choc, comme la bête me semblait être une force de la nature trop grande pour un seul homme. J'avais tord. L'impact des deux corps retentit, coupa le souffle de la foule. Nous vîmes la lionne et Stivassian rouler l'un sur l'autre, des monceaux de sable soulevés autour de la bataille. Puis, le mercenaire bondit loin de sa nouvelle victime. La bête rugit, lutta, mais rien à faire. Elle était prise dans le filet, l'homme ayant déjà fait un nœud complexe pour la maintenir prisonnière. Elle usa de toutes ses forces pour se libérer, sans réaliser que plus elle se dépensait, plus les mailles se serraient autour d'elle. Stivassian eut le temps d'un léger sourire, avant d'être interrompu. Venue secourir sa sœur, l'autre lionne était déjà sur lui. La lourde patte déchira l'air, cherchant le torse de l'humain. Celui-ci roula à terre, évita l'assaut de peu. La créature poussa, se jeta sur l'ennemi au sol. Stivassian lança son fourreau, l'épée heurtant la gueule rageuse. Le choc lui gagna les quelques secondes nécessaires pour contre-attaquer. Il se remit sur pied, s'élança et passa derrière sa cible. D'une main, il saisit la peau à l'arrière du cou de la lionne. Furieuse, elle se dressa sur ses pattes arrières, battit le vide de ses membres avants. Elle lutta, cherchant à se défaire de la prise, mais Stivassian tint bon. Je vis son autre main s'avancer, l'index et le majeur tendu, paré pour l'impact. Il heurta de ses deux doigts la base du crâne du monstre, et cela suffit. Vainqueur, il lâcha la créature. Celle-ci tenta de reprendre le combat, en vain. Ses pattes tremblaient, soudain prises de faiblesse. La lionne tentait de retrouver ses marques, mais ses pas mal assurés glissaient dans le sable, et ses muscles lui faisaient défaut. Elle s'affala sur le côté, parcourue de spasmes indiquant qu'elle désirait poursuivre la bataille, mais elle ne pouvait pas. Pour finir, elle ne fut bientôt qu'une bête inoffensive, allongée dans la poussière, la queue battante au rythme de ses paisibles inspirations.

Les histoires au coin du feu du marchand hobbitWhere stories live. Discover now