Quatre

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«  T'es qu'un porc ! Je hurle. »

La seule réponse qui me vient est la voix de l'homme qui me répond qu'il aime frapper mes petites fesses.

*******


L'unique chose à laquelle je pense c'est d'être seule. Complètement seule et de ne plus être épiée par lui. De faire une pause dans notre petite guerre ridicule, d'arrêter de bousiller un instant la vie sociale ou le sommeil de l'autre. Mais je sais que c'est impossible. Il n'acceptera jamais de cohabiter, pour la simple et bonne raison que le plus raisonnable de nous deux, c'est moi.

Je ne sais pas pourquoi il a tant besoin de se débarrasser de n'importe quelle personne qui emménage à côté de son appart, mais ce doit sûrement être une raison purement égoïste. Il n'y a pas beaucoup de choses que je sais sur lui, ce qui rend la tâche difficile. Comment l'atteindre ? Lui faire mal, frapper un grand coup pour qu'il accepte un arrangement.

Je n'arrive pas à croire que j'anéantis mes heures de sommeil pour penser à ma prochaine vengeance, penser à lui. Il est plus d'une heure du matin, je travaille le lendemain et pourtant je me demande encore ce que je vais lui infliger. C'est pitoyable. Je suis pitoyable.

Pourquoi j'ai tant besoin de quelqu'un pour m'éveiller ? Pour me sortir de cette réserve, cette carapace et devenir une personne totalement différente. Pourquoi je n'ai pas la force nécessaire de combattre seule, la fille réservée et complexée que je suis devenue.

J'ai parfois l'impression que la société nous oblige à devenir une personne qui n'est que l'ombre de ce que l'on était étant jeune. Insouciant. On subit le regard, le jugement des autres et alors on devient quelqu'un de différent.

Oui c'est ça. J'ai besoin de mon voisin pour arriver à dépasser ce stade. C'est ce qu'il m'apporte : l'ancienne moi. Je me battrais jusqu'au bout avec lui, pour ressentir ce sentiment. Le sentiment d'être vivante.

La dernière fois que j'ai été pleinement heureuse remonte au dernier Noël passé avec mes parents. Nous n'avions jamais roulé sur l'or mais mon père se débrouillait toujours pour nous en donner l'impression lors des fêtes. Je me rappelle encore ce drôle de cadeau qu'il m'avait offert. Une boule à neige. En regardant à l'intérieur, pendant que les flocons tombaient, on s'évadait dans notre monde enneigé.

La neige...

Mais oui, c'est ça ! J'ai trouvé comment lui rendre la pareille !

Je m'endors avec ma vengeance en tête et un rictus diabolique accroché aux lèvres ;

Oh mon lapin, j'espère que tu aime le doux grésillement de la télé...


~ ~


Ce matin, je me réveille à la fois euphorique et épuisée. Après avoir pris un café bien chaud, je file sous la douche.

En sortant, j'ai pour idée de marquer le coup pour mon deuxième jour de travail. Je décide, exceptionnellement, de changer de coiffure. Ne plus laisser mes cheveux sans entretient et seulement les couper quand ils en ont besoin. Je les attache en deux longues tresses qui partent du haut de mon crâne.

Satisfaite, j'attrape mes clés et mon sac. Je m'apprête à partir quand je me rappelle soudainement que j'ai failli oublier le plus important. J'allume la télé, qui est pour ainsi dire un dinosaure, la branche sur une fréquence qui ne fonctionne pas. Aussitôt, la neige apparaît. J'augmente le son au maximum, ce grésillement, ce crépitement insupportable envahit la petite pièce. Oscars s'enfuit par la fenêtre pour échapper à ce son ignoble, j'en fais tout autant en ouvrant la porte, prête à partir. Quand soudain je l'entends  souffler et taper de l'autre côté.


«  Putain, c'est ça ton plan pour aujourd'hui Machine ?

«  On dirait bien que oui. »

Je hurle presque pour que ma voix passe au dessus du bruit.

«  Plutôt bien trouvé. Il me donne des idées celui-là. »

«  Et bien, tu devrais me remercier de t'inspirer chaque jour. » Je me moque.

Il ne répond pas, mais je l'attends. J'attends sa réponse alors que je suis déjà en retard pour le boulot.

Pressée par le temps, je franchis finalement la porte faisant grincer sous mon poids le vieux parquet.

«  A ce soir, Whitney. »

C'est pas vrai ! Il a encore écouté !

«  Crétin ! »

Je claque la porte.



Le chemin vers le boulot se fait dans le calme. Les rues de Sydney sont paisibles à cette heure-ci. Malgré tout, j'intercepte quelques regards curieux, jugeurs. Toutes ces personnes en uniforme et costard cravates semblent penser que ma couleur de cheveux fait de moi quelqu'un d'étrange. J'ai envie de leur crier que de juger un livre à sa couverture est mal, mais je sais que jamais je n'oserais le faire. Je me contente d'observer et d'attendre que ça passe. Comme toujours.



Lorsque j'arrive au boulot, mon humeur est maussade. Ils l'ont rendu maussade. Je me dis parfois qu'il faut que j'arrête de les laisser m'atteindre.

Peut-être qu'ils regardaient car ils trouvaient ça joli ? C'est ce que ma mère aurait dit. Sur cette pensée, j'entre dans l'agence Delios. Je salue poliment la secrétaire et m'affale sur la chaise de mon bureau. Je sors mes affaires et une clé USB où j'ai enregistré mon travail. Monsieur Delon m'a proposé un projet intéressant : trouver quelque chose qui m'inspire. Je rougis violemment quand je repense à mon patron qui a entendu, ça.

Si embarrassant !



Les heures défilent et je ne trouve toujours rien qui m'inspire, sentimentalement. Car c'est ce qu'il souhaite. Que je travaille sur un projet qui m'implique non pas professionnellement mais intimement. Je tape mon crayon frénétiquement sur le rebord de mon bureau pour évacuer mon stress, je tourne sur ma chaise, je joue avec un élastique... Rien. Aucune idée ne me viens. Jamais encore je n'avais été aussi désemparée devant un projet.

Le carillon de la porte d'entrée résonne, je tourne vivement la tête. Enfin une distraction !


«  Bonjour Viviane ! » Salut-il gaiement.


Un jeune homme, d'une vingtaine d'années vient de faire son apparition.
Apparemment ce n'est pas la première fois qu'il vient ici car il semble très à l'aise avec "Viviane".

Ma première impression de lui c'est qu'il est un garçon plein de vie, de fraîcheur.
Le jeune homme, un sourire toujours accroché à ses lèvres légèrement rosées, continu sa tirade devant la secrétaire.
Incontestablement, il se fiche d'être la distraction de la journée. Distraction des employés, moi compris, qui n'ont rien de mieux à faire que de l'observer du coin de l'œil.


Plus je le détaille, plus je l'admire, l'envie.  Il semble épanoui, totalement lui-même.

Sa veste en cuir contraste avec son visage enfantin, ses magnifiques yeux verts sont ornés de longs cils noirs. Sa barbe naissante, qui recouvre ses joues rondes lui donne un charme certain.

Mais la chose que j'aime le plus, c'est cette remarquable couleur rouge pétante qui colore ses cheveux.

From the other side of the Wall [EN PAUSE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant