Changement de rôle

XXIII / Violette

J'ai passé la matinée dans un état second. Je n'ai parlé à personne, je n'avais pas envie de me souvenir de ce qu'il s'était passé ce matin. Surtout l'étrange baiser sur le front que m'avait donné Léo. Et à ses poignets. J'inspire et enfonce ma fourchette rempli de haricots dans ma bouche. Je ne vois pas Léo dans la salle et ça m'inquiète. Son "Au revoir" m'a fait froid dans le dos tout à l'heure et encore maintenant quand j'y pense. Melina tapote gentiment ma main et je lève les yeux vers elle alors qu'elle est assisse devant moi.

- Oui ? je souffle puis avale une gorgée d'eau.
- Tu es encore dans la lune, il se passe quoi ? elle se mord la lèvre inférieur de peur que je l'envoie boulé.
- Rien de bien important, j'ai simplement croise Léo ce matin et ça m'a gonflé, je marmonne alors que Paul tape son poing sur la table.
- En parlant de lui, il n'était pas en cours ! Il doit se pisser dessus pour ne pas venir, il éclate de rire avec Malvin.

Pour ma part, j'ai senti tout mon corps se liquéfier. Mon coeur a aussi loupé un bon et je me retiens de vomir. Vic, à ma droite, passe habilement un bras sur mes épaules alors que je baisse la tête. Sa voix chuchote mon prénom doucement. Mon changement de comportement doit l'inquiéter mais là, je m'en fiche. Je me sens vide, froide et je ne sais plus quoi faire ni penser. Je fixe bêtement mon plat, mon esprit. Mon ami me secoue doucement une épaule et je retiens de peu un nouveau vomissement. Le silence s'est invité à notre table et tout le monde attend des explications. Mais je ne peux pas en donner, j'ai dit à Léo que je ne dirai rien. Et puis, qui comprendrait réellement ce retournement de situation alors que je disais vouloir lui en faire voir de toute les couleurs ? Je tremble légèrement et une veste se pose rapidement sur mes épaules. Je n'en prend pas cas, j'essaye de me détendre, de sourire mais je suis bloquée sur le visage souriant que m'a offert Léo avant de partir.

- Je l'emmène dehors, occupez-vous de nos plateaux s'il vous plaît, demande Vic en glissant nos deux sacs sur ses épaules.
- Aucun soucis, on vous rejoint vite, répond Greg alors qu'on se lève et qu'on sort.

Dehors, on s'abrite sous un abris-bus et je passe mes bras dans les manches de sa veste. Je n'arrive pas à parler, je suis complètement assommée. J'ai l'impression que c'est de ma faute s'il est parti, que mes mots l'ont blessé et qu'il a eu peur que je dise tout à tout le monde. C'est même totalement sur. C'est ma faute. Je soupire et passe mes mains sur mon visage. Vic attend que je lui explique tandis que sa main passe de bas en haut sur mon dos. Mais je ne veux pas lui dire, je n'ai pas envie de lui en parler. Pourtant, j'inspire un grand coup et je lui explique ce qu'il sait passer ce matin. Durant ma tirade, il n'a rien dit, il s'est contenté de m'écouter. Je n'ai pas une seule fois levé les yeux vers lui. À la fin, sa main relève mon visage et mes yeux tombent dans les siens.

- Ce n'est en rien ta faute. Il était déjà mal, murmure mon ami. Il a décidé de partir de son plein gré et pareil, il préparait son plan depuis plusieurs jours ! Il ne faut pas que tu te fasses des milliers de films, ça ne sert à rien.
- Vic... J'ai l'impression de revivre la même histoire... J'ai peur... je souffle et passe mes mains sur mon visage.

Il me prend dans ses bras, posant mon visage contre son épaule. Il me berce doucement, lentement, alors que je me détends. Je n'arrête pas d'imaginer mille scénarios, je n'arrive pas à faire abstraction à cette peur qui me broie l'intérieur du corps.

- Merde, putain, merde !

Je me redresse et tourne la tête vers la voix qui hurle. Un homme assez grand frappe dans un mur du lycée alors que ses dreads volent dans le mouvement. Un autre le rejoint et celui-là me dit quelque chose. Je fronce les sourcils et plisse les yeux pour les voir un peu mieux en m'écartant de Vic.

- Qui est-ce ? il me demande dans un murmure et je hausse les épaules.

D'un pas pressé, ils sortent du lycée et celui qui a l'air d'être le plus jeune se tourne deux secondes vers nous. Il s'arrête et attrape son pote. Il nous pointe du doigt et je me fige. Putain, c'est quoi le soucis ?! Vic se tend derrière moi et se lève alors que les deux autres se dirigent maintenant droit vers nous.

- Vous allez... commence à crier celui qui a frappé le mur mais l'autre l'interrompt.
- Arrête. Salut. Violette, il hoche la tête dans ma direction et mon souffle se coupe.
- Ben. Il y a un soucis ? je grimace quand les yeux sombres du plus vieux se ternissent.
- Oh oui, et un sacré, crache d'ailleurs ce dernier.
- Et c'est quoi ? demande Vic froidement en passant son bras autour de mes épaules. Parce qu'on a pas toute notre journée.
- J'en ai rien à battre, réplique le garçon aux dreads. Vous...
- Josh, bordel, stop ! s'énerve gentiment Ben et ledit Josh se renfrogne. Merde à la fin, on est déjà assez sur les nerfs, n'en rajoute pas, il pointe du doigt Vic et je me place devant mon ami.
- Ne lui parle pas comme ça, sifflé-je. Il ne vous a rien fait, c'est vous qui venez nous agresser.
- On veut savoir où est passé notre cousin bordel ! explose alors Josh.

J'écarquille les yeux et recule, me collant à Vic qui me rattrape de justesse car j'ai trébuché. Je déglutis, regarde partout et tente de mettre un semblant d'ordre dans ma tête. Leur cousin. Ben au café avec Léo. Le fait qu'ils avaient l'air proche. Ils sont de la même famille. Merde. Merde, merde, merde.

- Mon Dieu, Léo... je souffle et les deux garçons en face de nous me toisent avec colère.
- Tu le connais ? Putain, il est où ? hurle Ben et Vic me serre un peu plus contre lui.
- Arrêtez de hurler, on en a aucune idée, grogne-t-il. Il n'est pas venu en cours de toute la matinée.
- Tu es dans sa classe ? Et toi aussi ?
- Elle, non, répond Vic en serrant les dents. Moi oui, et ça pose un soucis ?
- Il n'aurait rien dit ? Il n'a pas eu un comportement bizarre ces derniers temps ? nous interroge Ben plus calmement.
- Je ne lui parle pas.

Josh se raidit soudainement, inspire et ses yeux se plantent dans les miens. Un frisson parcourt mon échine quand j'y lis la rage, la haine et l'inquiétude. Ses poings se serrent et se desserrent alors qu'on entend vaguement Ben et Vic parler. Je suis bloquée sur le soit-disant Josh. Son regard exprime un colère sans égale qui a l'air intarissable, comme s'il réalisait quelque chose. J'avale difficilement ma salive quand il lève son regard vers Ben.

- On doit y aller, lâche-t-il simplement et Ben lève un sourcil.
- Quoi ?
- Ce sont eux. Et si tu désires que je ne fracasse pas leur gueule, il vaut mieux qu'on bouge.
- Quoi ? il répète et je commence à réaliser l'ampleur des propos de Josh.
- Nous... je souffle en me sentant me briser de l'intérieur. Nous qui l'avons poussé à partir. Nous qui avons abusé. Nous qui avons brisé et terminé Léo. Vic, c'est nous qui l'avons fait partir, je lève mes yeux embués vers mon ami alors qu'il se met à paniquer aussi.
- Comment ça ? Ben m'attrape le poignée et me force à le regarder. Explique-toi putain !
- Ben, lâche-la. Elle ne sait rien, ça se voit, respire Josh et il retire ma main de la poigne de Ben. On y va.
- Attendez, marmonne Vic en attrapant l'épaule de Josh alors qu'ils nous tournaient le dos. Vous...
- On quoi ? crache avec haine ce dernier. On rien, ouais. Vous l'avez bousillé. Alors ferme ta gueule.
- Ben... je gémis et il me fusille des yeux. S'il te plait... Écoute moi...
- Non. Alors, on y va. Gale nous attend.

Il tire Josh par le bras jusqu'à une voiture et je n'essaye même pas de le retenir à nouveau. La voiture démarre et je me sens faiblir. Je m'effondre sur le sol et je tremble. Vic s'agenouille rapidement à mes côtes, plantant ses iris dans les miennes.

- Violette, ne panique pas. Il n'est pas loin, tout va s'arranger. On ira le voir, on tentera de reparler à ces deux types.
- On a tout foutu en l'air encore une fois... Vic, je n'en peux plus, je renifle et il me serre contre lui. Oh non, j'ai encore détruit une vie...
- Ne dis pas ça... Les gars arrivent, on ne dit rien, pour l'instant on garde ça pour nous. Je ne veux pas qu'ils en profitent, ok ?

Je hoche simplement la tête alors qu'il me soulève. Je garde mon visage cacher dans son cou tandis que nos amis nous rejoignent. Personne ne me parle et Vic fait la conversation avec eux, expliquant que je suis simplement fatiguée. Quel piètre mensonge mon Vic.

Je respire son odeur et mon cerveau connecte soudainement deux neurones.

Léo est parti, personne ne sait où. Et c'est ma faute.