De culpabilité et de larmes.

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Point de vue : Stuart

J'ai eu effroyablement mal. Mes yeux me piquaient, mes paupières fermées tressautaient. La foule de journalistes tendaient leurs micros, braquaient leurs caméras, parlaient dans une oreillette. J'étais seul face à la marée humaine. Seul, effroyablement seul.

Encore aujourd'hui, je me demande comment j'ai pu trouver la force pour m'avancer jusqu'au pupitre, et tapoter bêtement le micro. Je me demande comment j'ai pu lever la tête et affronter le direct. Tout était si différent de ce que j'avais l'habitude de faire : mes prestations sont réglées à la seconde prêt, il n'y a aucun moment d'hésitation, aucun faux pas. Alors, sortir de ma bulle pour la première fois est quelque chose de tétanisant.

- Aujourd'hui, j'ai mal.

Wouha, bravo Stuart, belle entrée en matière ! Non mais puis quoi encore, je vais leur raconter que je déteste les myrtilles aussi ?

Enfin, soyons sérieux deux minutes ! Retire-moi donc ces lunettes de soleil... Oh, mon coquard doit être bien moche, ils font tous une de ces têtes... Allez Stuart, allez...

Mais plus je m'encourageais, plus j'avais du mal à articuler les mots. Et puis, au fond, au-delà des journalistes qui me regardaient à travers leurs caméras, je l'ai vu, lui. Axel, son bloc note dans une main, son casque d'ingénieur son dans l'autre. Je pouvais voir ses yeux, son regard étonné. Un grand souffle d'air frais embauma alors mon corps.

- Je vous ai fait inviter aujourd'hui pour m'adresser à vous. Enfin, vous pensez bien, pas vous, les journalistes, car au moindre faux pas vous me fusillerez sur place. Non, je voulais parler aux téléspectateurs qui me soutiennent depuis bientôt deux ans dans ce grand show, et à qui je suis infiniment reconnaissant.

Je voulais solliciter votre avis, car je suis encore indécis. Je compte arrêter l'aventure, pour diverses raisons strictement personnelles. Nous avons tous besoin d'avoir notre jardin secret, et je suis convaincu que vous me comprenez. Alors, ma question est très simple : vaut-il mieux que j'arrête l'aventure ici, à Londres, en passant à la dernière émission, ou vaudrait-il mieux que j'arrête aujourd'hui, en sortant de cette conférence ?

Vous pouvez me donner votre avis sur le site de TWSC, un sondage y est posté. Je sais que je suis retransmis en direct sur une cinquantaine de chaînes aux quatre coins du globe. Alors je vous laisse 30 minutes, et avec vous, je regarderai les résultats.

Je tendis la main dans la direction de Monsieur Davis, médusé. Devant les journalistes, le pauvre homme ne pouvait rien faire : il fut donc obligé de me donner un téléphone. Bien, me voilà déjà avec un cellulaire. Plus je parlais, plus mes idées semblaient claires et mon plan limpide. Axel, sans me quitter de ses grands yeux médusés, avant longé les journalistes par la droite, et m'interrogeait du regard. Mais l'ignorance était ici la meilleure des solutions. Oui, c'était mal ce que je faisais, je le savais. Je le faisais culpabiliser, devant des millions de téléspectateurs. Ce qu'il ne savait pas, c'est surtout que je le faisais pour moi.

Une journaliste en tailleur gris de la NHB ne prit pas le temps de lever la main et posa sa question, faisant ainsi taire toutes les rumeurs qui commençaient à se répandre dans l'assemblée : "Monsieur Lemair, vous ne voulez vraiment pas nous donner les véritables raisons de ce départ ? "

Une centaine de paires d'yeux se tournèrent vers moi comme un seul homme.

" - J'ai été on ne peut plus clair, mais je vous connais, vous les journalistes, vous ne lâcherez pas l'affaire comme ça. Alors la seule chose que je peux vous dire, c'est que j'ai des soucis personnels d'une part, et des problèmes avec les membres du staff d'autre part"

Est-ce un départ voulu ? Forcé ? Qu'allez-vous faire par la suite ? Vous reverra-t-on ? Avez-vous pensé à toutes les personnes qui votaient pour vous durant les émissions ? À toutes celles qui croyaient en vous ? Avez-vous imaginé leur déception ? Avez-vous pensé aux conséquences ?

Bien évidemment que j'y ai pensé, triple buse. Mais plus rien n'importait, si ce n'était les yeux emplis de larmes d'Axel... Quel monstre médiatique fais-je... J'ai joué sur sa corde sensible, je me suis amusé avec ses points faibles dans l'unique but de leur rendre la pareille... Mais d'ailleurs, que m'a-t-il réellement fait ? Je n'avais qu'à ne pas me faire de film...

Je répondis rapidement aux journalistes que je ferais une rencontre avant mon départ définitif, puis je sortis rejoindre Axel qui avait quitté la salle quelques minutes plus tôt. Je l'ai suivi à la trace, en emboitant pratiquement le pas. Il entra dans les toilettes, dans le hall de l'hôtel. Chaque porte était identique, face à des éviers de marbre identiques, des essuie-mains identiques. Le summum du commun. Pour avoir l'ultime servitude d'être seuls, je passai la tête par-dessus les portes, signalant à une dame :

"Désolé, procédure d'évacuation, je vous demande de garder votre calme et de partir". Mais je crois qu'elle n'entendit jamais la fin, trop occupée à crier d'horreur en remontant son pantalon.

Je fermai la porte des toilettes, et m'installai sur le plan de travail, entre deux éviers, pile en face de la porte d'Axel. J'endentais ses larmes, sa respiration saccadée. J'avais mal pour lui. Pour la première fois de ma courte existence, j'avais vraiment mal pour quelqu'un.

Pour que les étoiles brillent toujours (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant