De chambre miteuse et de pardon

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Quelques pas, quelques regards. Quelques sourires, de l'euphorie. Une envie de vivre, de regarder au loin, sans se retourner, sans se préoccuper de ce qui pouvait se passer. Voilà ce à quoi mon esprit divaguait en sortant de l'hôpital.

On m'avait fait passer par une porte de service, débouchant dans une impasse remplie de conteneurs d'ordures. On m'avait dit que des dizaines de caméras et de journalistes attendaient face au hall d'entrée depuis l'annonce de mon réveil la veille. Je n'avais pas besoin de cette mauvaise presse pour mon image. J'avais beau être encore fatigué, des marques bleues cernant mes yeux, j'arrivais à réfléchir assez rapidement.

On me poussa rapidement à l'intérieur de la voiture blindée, aux vitres teintées. Je ne pouvais rien voir, et même si j'avais pu, je ne l'aurais pas fait : mes yeux étaient rivés sur Axel, drapé dans son pull gris clair un peu trop grand. Sa peau pâle contrastait avec l'univers feutré et noir de la voiture, des gardes du corps. Son regard était ailleurs, perdu dans l'immensité de ses pensées. Il n'était pas là, il s'était perdu au loin. Son expression était fermée, et pas une seule fois il ne m'accorda un regard, un mot, un sourire. Il sortit son téléphone et composa de mémoire un numéro. Il ne parla pas une seule fois, mais écrivit sur son carnet une suite de nombres. Il tendit ses notes au garde du corps à sa gauche, et reprit sa position de statut, le regard livide face à la vitre.

La voiture s'arrêta dans une petite rue, derrière l'hôtel où quelques jours plus tôt, je perdais connaissance. En descendant, j'attrapai le poignet d'Axel, de peur qu'il me file entre les doigts.

- Explique-moi.

Je n'avais trouvé que cela à dire. Et pour seule réponse, le jeune homme qui me tournait le dos tira d'un coup sec pour reprendre sa main, avant de s'éloigner dans le dédale de couloirs de l'établissement. J'étais seul, face à moi-même et aux courants d'air. On m'indiqua ma chambre, dans une aile du bâtiment qui ne comptait que deux étages. Je compris rapidement que je ne faisais plus partie de l'émission : une chambre de neuf mètres carrés, un lit simple, les douches sur le palier. On aurait dit des chambres de bonnes, tandis que j'étais habitué à la grandeur des suites cinq étoiles. Les murs étaient gris, comme patinés par le temps et par l'absence de couleur. Les poutres étaient apparentes, et une petite fenêtre posée sur le toit de tôle conférait à l'ensemble une atmosphère toute droite sortie d'un roman de Victor Hugo. Ma valise avait été jetée dans un coin, un billet d'avion pour Dublin délicatement posé dessus. Je partais demain, à 15h27, hall B3. Je ressassais mon expérience : en deux ans, je n'étais pas rentré chez moi. Je n'avais pas reçu un centime de tous ceux que j'avais envoyé à ma famille. Je me sentais si pitoyable de n'avoir pas réussi une deuxième fois, de n'avoir pas tenu bon. J'avais voulu jouer, j'avais perdu. L'émission était loin, Axel était loin, et moi-même je ne savais où j'étais. Je n'avais aucune envie de retrouver ma famille, bloquée dans son camping-car de 1992 à la couleur crème passée au soleil, à la poussière qui s'entassait sur les sièges rouillés et aux pneus dégonflés, au volant de cuir grignoté par des rongeurs. Je n'avais aucune envie de continuer d'échapper à la drogue, présente autour de moi. J'avais déjà deux drogues : l'une était la liberté, l'autre mesurait 1m75 et s'appelait Axel.

Au final, la chambre avait beau être miteuse, quasi insalubre, j'aimais le bruit de la pluie contre le toit, inondant la pièce d'un concert privé où seules les gouttes avaient la liberté de créer un chef d'œuvre. Mais elle s'arrêta d'un coup net, sec et précis. Comme si la trappe venait de se refermer. C'était aussi le charme de Londres, ses intempéries brèves et surprenantes, qui vous saisissent sans que vous n'en ayez conscience.

Il devait être aux alentours de vingt-deux heures quand je suis monté sur le toit. En entendant le bruit de mes pas, Axel se retourna. Il était drapé dans son long pull gris, comme s'il avait pris deux tailles en plus. Les bras croisés, il porta une cigarette à sa bouche. Il n'avait pas l'air surpris de me voir. En vérité, il n'avait l'air surpris de rien.

-Tu fumes maintenant ? entamais-je, perplexe.

Le jeune homme me tourna le dos, afin de reprendre sa contemplation de la skyline londonienne.

- Ça aide à tenir.

Je m'approchai de lui. Axel me regardait d'en dessus, d'un air de chien battu contre lequel personne n'aurait pu résister. Il avait l'air triste, pensif et abattu, la tête légèrement penchée sur sa cigarette, d'un souffle nostalgique. Je la lui pris, la jetai au-delà des toits.

- Stuart, tu sais combien ça coûte ces merdes ? Tu n'as pas tous les...

Ce fut comme un murmure, une caresse du vent, un léger appel d'air. Ce fut des yeux fermés, une main sur sa joue, des lèvres qui s'emmêlent. Ce fut un moment magique, un baiser unique.

Pour que les étoiles brillent toujours (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant