DUBLIN | D'ancienne vie et de retour à la réalité

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D U B L I N


« Les passagers du vol BA7014 à destination de Dublin sont priés de se rendre porte 21, hall B3. Embarquement imminent ».

Je commençais à connaître ces voix, ces pas, ces escalators et ces zones de transit. Je m'étais habitué aux longues baies vitrées, à la climatisation, à l'air pressurisé et aux ceintures de sécurité. Je promenais toujours mon sac quarante-huit heures, mon masque pour dormir et mes barres de céréales. Mais jamais je n'avais connu ce silence dans ma tête, ce sourire dans mon cœur, cet espoir dans mes yeux. Je ne voulais pas retourner en Irlande, retourner dans ce vieux camping-car, prêt de la route 113 derrière une zone industrielle de Limerick. Mais je savais, au plus profond de moi, que tout ceci serait temporaire.

À la douane, le vigile me reconnut instantanément ; il m'adressa un sourire et un petit hochement de la tête et, une fois arrivé à sa hauteur, me souffla qu'il était très fier de moi, lui-même irlandais. Je ne savais trop comment réagir, alors je balbutiai quelques mots de remerciement et partis, en prenant soin de bien remettre mes lunettes de soleil et mon chapeau. J'étais désormais dans la jungle de la vie quotidienne, dans la cohue de civils. J'étais désormais un nom parmi tant d'autres, même si ma tête ne leur était pas inconnue. Pourtant, je ne me leurrais pas, oh non : dans quelques mois, ils m'oublieront, et enfin, je redeviendrai un citoyen lambda.

En deux ans, l'Irlande n'avait pas changé. Je ne vous donnerais pas le cliché de la pluie continuelle, des prairies vertes où gambades moutons et leprechauns. L'Irlande est loin, bien loin, de cet arrière temps. Mais pour autant, elle est restée elle-même durant les deux années où je me suis absenté. À l'aéroport, il y a ce bus qui va jusqu'à Limerick. De là, il me suffirait de prendre un taxi pour rejoindre le terrain vague. Je n'ai aucune idée si ma mère et ma sœur y sont toujours, mais je n'ai que là où aller. Je n'ai jamais vraiment eut d'amis, et les rares personnes que je connaissais sont parties, soit dans une autre ville, soit dans un autre monde. Ma seule option demeurait ce terrain vague, cette zone industrielle qui empestait les vieilles canettes et les sacs en plastique. Et le chauffeur du taxi me posa exactement là où, encore aujourd'hui, demeure le camping-car. Il me lança un "courage petit" avant de reprendre sa route, entamant une nouvelle course.

Je pris une large rasade d'air frais, car je savais que celui qui demeurait à l'intérieur sera pestilentiel. Je me sentais épié, oppressé par un regard invisible et inconnu. Mon propre regard, vraisemblablement. Je comptai jusqu'à trois, montai sur le marchepied posé de guingois sur la terre battue et poussai la porte de plastique. Fumé, odeur d'humidité, de renfermé, attaquaient mes sens de toute part. Ma mère était couchée sur le canapé, un cône porté à sa bouche.

- Violette, ferme la porte, j'vais attraper froid putain.

- C'est Stuart.

Ma mère haussa un sourcil, tourna légèrement la tête et me regarda sans étonnement.

- Ça y est, t'ont viré ? Passe-moi le café. Là, regarde mon doigt, là, tu ne le vois pas bordel ? Allez, rapporte.

Je m'exécutais. Je n'attendais pas de ma mère une embrassade digne des plus grands films, des pleurs, un repas en mon honneur. Non, je n'attendais rien de tout ça. Mais au plus profond de moi, cela aurait un bonheur de me sentir, pour la première fois de ma vie, entouré de ma famille.          

- En fait, je suis parti.

- Ouais, j'ai vu à la télé. T'façon t'aurais pas pu gagner, aboya-t-elle.

C'est à cet instant, et uniquement à cet instant, je compris la raison pour laquelle j'avais longtemps manqué de confiance en moi. Comment voulez-vous croire en vous quand même votre mère n'y croit pas ? Heureusement que j'avais eut ma sœur qui, malgré ses déboires, avait tenté d'être là.

Pour que les étoiles brillent toujours (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant