|| E P I L O G U E ||

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Mon téléphone vibra dans la poche de mon pantalon. Je déposai mes baguettes contre mon bol de ramen, et le saisi. J'étais assez surpris de recevoir ce message, surtout qu'il était encore très tôt de l'autre côté du globe. Je finis rapidement mon bol, payai ma commande et me faufilai promptement dans les couloirs de l'aéroport. Mon avion regagnait les États-Unis dans quelques heures. Ce sera le dernier que je prendrai avant un long moment. La dernière fois que je verrai ces hôtesses, ce passeport aux mille couleurs, ces photos prises à la dérobée et les quelques mots prononcés à voix basse parlant de moi. Plus de deux ans après ma sortie de l'émission, mon visage était toujours connu et reconnu. Et j'étais sûrement le seul.

Au terminal A4 de Seattle, Violette était venue me chercher.

- Alors, Séoul, c'était comment ?

Je m'apprêtais à répondre avant qu'elle ne me coupe la parole.

- Au fait, je te prie de l'excuser, il n'a pas pu venir te chercher en personne...

À vrai dire, cela ne m'étonnait qu'à moitié. Ces derniers temps, les universités tournaient à plein régime, et les périodes avant les vacances d'hiver ne faisaient pas exception. Mais je me dis secrètement qu'ainsi, plus de temps me sera laissé pour tout organiser.

Depuis notre arrivée, il y a de cela un an, dans l'état de Washington, au nord-ouest des Etats-Unis, Violette ne savait plus conduire. Par à-coup, elle avait le pied trop lourd tantôt sur l'accélérateur, tantôt sur la pédale de frein. Comme seul argument pour plaider sa cause, elle disait qu'elle n'était pas habituée aux voitures automatiques. Je me pouvais m'empêcher de sourire.

Durant le trajet, ma sœur me posa une montagne de questions sur mes voyages, sur les interviews que j'avais pu donner à la télé, sur ce que je pensais de mon propre livre sorti un an plus tôt et dont je faisais la promotion sur les plateaux-télé internationaux. Ce livre avait pu révéler les pratiques réalisées par la production, faire tomber les hauts représentants pour leur malhonnêteté vis-à-vis des candidats, mais également vis-à-vis du public. Pour une fois dans ma vie, j'avais été heureux d'avoir réalisé quelque chose de bien. Arrivé devant la porte de l'appartement, mon cœur se resserra davantage.

- Rentre, il n'est pas là, et puis il ne va pas te manger, me dit Violette en insérant la clé dans la serrure, un sourire malicieux faisant frémir ses lippes.

L'appartement n'était pas dès plus grands du tout Seattle. En revanche, sa lumière était exceptionnelle : au travers des grandes fenêtres, elle irradiait sur le vieux mur de briques, réfléchissait dans la grande pièce à vivre et se faufilait dans les moindres recoins un peu plus sombres. Je n'y étais venu qu'un ou deux fois, durant l'année. Nous avions toujours correspondu via le téléphone, l'ordinateur ou les lettres. Malgré la distance, nous avions pu garder un contact permanent. En revanche, le fait de savoir que je n'allais pas partir, que j'allais rester ici pendant une période indéterminée me faisait peur. Comment allais-je tenir ? Et si au final, nous ne nous supportons plus au bout d'une semaine ? Toutes ces questions tournaient en boucle dans ma tête, sans que je n'arrive à les arrêter.

Il était un peu plus de quatorze heures, ce qui me laissait quatre ou cinq heures pour tout préparer. J'utilisai donc Violette, aussi perdue que moi dans ses pensées, pour préparer l'événement.

- Ça va faire bizarre, les fêtes sans elle...

Le regard de Violette vaguait sur l'immensité de la ville, au travers de la fenêtre à bascule. Depuis la mort de notre mère, il y a de cela huit mois, suite à une overdose, elle s'était refermée sur elle, et je peux la comprendre. Nous regrettions tout ce que nous n'avions jamais dit. D'un autre côté, nous nous étions toujours considérés comme orphelins, préférant une mère absente à une mère droguée et violente. Alors, cette mort n'était qu'une finalité que nous avions préparée depuis des années. En nous, elle était déjà un peu morte. La douleur n'en restait pas moins présente.

- Elle est sûrement mieux elle est, elle n'a plus à vaincre ses démons qui la rongeaient, tentais-je, mélancolique.

- Tu as raison. Concentrons-nous sur le positif, et sur ce plat qui ne veut pas rentrer dans le four, ria-t-elle.

Ce rire des merveilles, des illusions retrouvées et d'une enfance inavouée. Ce rire qui toute ma vie résonne en moi, m'hérisse les poils, me donne la chair de poule tant il est beau, tant il est pur. Ce rire faisait définitivement partie de moi.

La porte claqua aux alentours de dix-huit heures. Le jeune homme qui déboula dans la cuisine semblait fatigué, avec des cernes qui lui tombaient presque sur le nez. Mais dans ces yeux, il y avait toujours ces étoiles qui brillaient de mille feux. Ces étoiles que nous avions volées sur les toits de Shanghai et de Londres. Ces étoiles merveilleuses qui illuminaient mes yeux à chaque fois que je les apercevais.

La tension et l'appréhension étaient palpables. Violette s'éclipsa si discrètement que personne ne s'en rendit compte. Nous étions face à face, sans que personne ne dise quoi que ce soit. Il me scrutait, vérifiant que rien n'ai changé. Il photographiait chaque parcelle de ma peau, chaque portion de mon corps pour ne jamais l'oublier. Et puis, son sourire s'agrandit. Un sourire que je n'avais jamais vu ailleurs, aussi grand et puissant, un sourire à faire chavirer les cœurs et les esprits. Et puis, d'un seul coup, toutes les peurs, toutes les appréhensions se dissipèrent. Il me prit dans ses bras, et serra fort son étreinte. Il apposa sa tête sur mon torse, ferma les yeux, profita de l'instant. Nous étions hors du temps, hors des soucis que la vie pouvait apporte. Mais nous profitions du bonheur, juste un moment.

La soirée se passa dans une ambiance décontractée, où l'amitié et l'amour se mélangeaient. Pour la première fois, autour de cette table ronde en bois, sur ces chaises dont le design datait sûrement des années soixante-dix, j'avais l'impression d'avoir une famille. On m'appréciait, on m'encourageait, on croyait en moi. J'étais entouré de peu de personnes, mais ils comptaient pour moi, au même titre que je comptais pour eux. En réalisant tout ceci, je ne pût m'empêcher de retenir cette fine larme de bonheur qui s'échappa de mes iris.

Derrière nous trônait sur la cheminée un pêle-mêle, où chacun accrochait une photo, une pensée, un moment de la vie. Comme chaque famille, nous partagions beaucoup, même sans nous en rendre compte. Au centre de ce pêle-mêle avait été accroché le cliché instantané d'Axel et moi. L'inscription avait été quelque peu effacée avec le temps, mais il était toujours possible de lire « pour que les étoiles brillent toujours ». Et ce soir, nous étions fiers d'être nos propres étoiles.

Pour que les étoiles brillent toujours (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant